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Dans "Spencer", Kristen Stewart mime une Diana prisonnière de son image

L'affiche du film "Spencer" (2021). [COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP - KOMPLIZEN FILM - FABULA - SHOEBO]
Débat cinéma / Vertigo / 25 min. / le 26 janvier 2022
En relatant un Noël au sein de la famille royale, le réalisateur chilien Pablo Larrain signe avec "Spencer" une fable ouatée sur la princesse de Galles, prisonnière d’une existence qu’elle ne supporte plus. Un portrait qui peine à dissimuler sa vacuité derrière ses images léchées.

"Une fable inspirée d’une véritable tragédie". Le carton d’ouverture de "Spencer" avertit d’emblée son public: le récit à suivre ne se veut en aucun cas un biopic comme l’était le "Diana" avec Naomi Watts, sorti en 2013. Il s’agira plutôt du portrait impressionniste d’une prisonnière qui cherche à s’affranchir des conventions, des traditions et de sa propre image.

Pour ce faire, le cinéaste Pablo Larrain, remarqué pour "Santiago 73, post mortem" et "No", deux œuvres exhumant les fosses encore douloureuses laissées par Augusto Pinochet, ainsi que pour deux biopics consacrés au poète communiste Pablo Neruda ("Neruda") et à Jacqueline Kennedy ("Jackie"), réunit le cortège pétrifié de la famille royale lors d’un Noël en 1991, dans le domaine de Sandringham.

Diana contre Lady Di

Dès les premières images, révélant une Diana perdue dans sa Porsche décapotable au cœur de la campagne du Norfolk, c'est une princesse qui ne sait plus où elle est, ni où elle va, qui nous est dévoilée. Un rapide arrêt près d’un épouvantail rappelle à la princesse de Galles qu’elle habitait non loin de là, et plusieurs brefs flashbacks se chargeront de raviver les souvenirs d’enfance idylliques de celle qui s’appelait encore Diana Spencer.

Dans son titre même, le film de Pablo Larrain ne cache pas son programme: ramener sa triste héroïne vers ce territoire originel, le seul qui puisse lui garantir la liberté et une identité propre.

Ses alliés: William et Harry, avec qui elle peut encore partager un peu d’amour et un lien bâti sur l’authenticité; un chef cuisinier qui l’écoute et paraît le comprendre mieux que les autres; une habilleuse, confidente, protectrice, presque une sœur pour Diana. Pour le reste, le prince Charles exhibe sa nouvelle amante, Camilla Shand, et porte sur les domestiques et sur un ancien militaire qui garde un œil omniprésent sur Lady Di la responsabilité du comportement erratique de son épouse esseulée.

Une réincarnation d’Anna Boleyn

S’appuyant sur des images brumeuses, ultraléchées, ciselées avec un soin extrême par la cheffe opératrice Claire Mathon ("Portrait de la jeune fille en feu", "Mon roi"), Pablo Larrain met en scène une société figée dans la naphtaline.

Dans les couloirs du domaine de Sandringham, semblable, par moments, à ceux de l’Overlook Hotel de "Shining", Diana est assignée à une représentation permanente, à un festival de robes qui la cloisonne dans sa fonction. A l’extérieur, elle se confronte aux murs de photographes ou aux rangées de chasseurs, comparables dans le terme anglais "to shoot" qui désigne le fait de prendre une photo.

Bref, Diana Spencer, déjà sous l’emprise de la figure d’Anne Boleyn, épouse décapitée d’Henry VIII, n’a de cesse d’essayer d’échapper à son image, à Lady Di en somme, alors que Kristen Stewart paraît imiter, avec un certain génie, les mimiques, le phrasé, les inclinaisons de tête de son modèle, finalement impossible à saisir de l’intérieur.

Et dans ce ballet de visages vitrifiés, de corps engoncés dans leurs costumes, la seule qui semble affranchie des conventions reste la Reine mère, dont le regard balaye sa cour sans être dupe de ses codes absurdes.

>> A voir également, "sortie du film "Spencer" de Pablo Larrain", un sujet du 19h30 :

Lady Di ne cesse de fasciner. "Spencer", un biopic dédié à la princesse Diana, sort sur les écrans romands.
Lady Di ne cesse de fasciner. "Spencer", un biopic dédié à la princesse Diana, sort sur les écrans romands. / 19h30 / 2 min. / le 26 janvier 2022

On n’échappe pas à son image

Le problème de ce "Spencer" ne vient pas de son propos, mais bien de son incapacité à le rendre palpable par sa mise en scène. L’esthétisation poussée du film, renvoyant à la superficie du monde qu’il décrit, ne vaut que si elle assumée comme telle, jusqu'au bout. Pablo Larrain condamne son projet dès lors qu’il tente de percer l’humanité de son héroïne, d’en extraire une supposée vérité, notamment par quelques scènes mentales censées restituer les fantasmes de Lady Di, comme lorsqu'elle imagine briser son collier qui s’échoue dans une soupe et avale les perles les unes après les autres.

En cherchant à psychologiser ses personnages, à les sortir de leur pure représentation, le cinéaste échoue à assumer la logique de son film, qui s’appuie sur la seule surface, l’écrin d’un monde qui ne renvoie à rien d’autre qu'à son propre spectacle. On n’échappe pas à son image, nous dit en somme ce "Spencer" qui aurait gagné à ne pas tenter d’en sortir, lui non plus.

Rafael Wolf/ms

"Spencer" de Pablo Larrain. Avec Kristen Stewart, Timothy Spall, Sally Hawkins, Sean Harris.

Distribué dans certains pays sur la plateforme Amazon Prime, le film est visible actuellement dans les salles de Suisse romande.

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