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"Belle", une splendeur du cinéma d’animation japonais

Une image du film "Belle", réalisé par Mamoru Hosoda. [Studio Chizu]
Débat autour du film "Belle" / Vertigo / 6 min. / le 26 janvier 2022
Le cinéaste Mamoru Hosoda propose une variation de "La belle et la bête" focalisée sur une adolescente timide qui devient la nouvelle star d’un monde numérique. Un festin pour le regard doublé d’une réflexion sans clichés sur les ponts entre réel et virtuel.

Adolescente renfermée, solitaire, encore accablée par la mort de sa mère, Suzu Naito peine à trouver sa place dans la petite ville montagnarde où elle réside avec son père. Un jour, elle s’inscrit sur "U", un monde virtuel qui permet de se réinventer à travers un avatar. Elle devient Belle et s’impose comme la nouvelle star grâce à ses chansons et sa voix mélancolique.

Une notoriété imprévue qui dépasse Suzu alors que le pays entier, comme ses cinq milliards de followers, cherchent à savoir qui se cache derrière son avatar. Sa rencontre, dans le monde de "U", avec la Bête, à la fois terrifiante et captivante, l’encourage à découvrir, elle aussi, qui se dissimule derrière la créature.

Une identité à conquérir

Superstar de l’animation japonais, Mamoru Hosoda ("Miraï", "Le garçon et la bête", "Summer Wars") séduit d’emblée par son esthétique chatoyante. La réalité, bucolique, dominée par la présence de l’eau qui renvoie l’héroïne à la mort par noyade de sa mère, impose un mouvement sobre, limpide, loin des agitations épileptiques d’autres films d’animation plus normatifs. L’élévation d’un nuage, le flux d’une rivière, les éléments respirent à l’image et donnent lieu à des instants de pure grâce cinématographique.

Quant à l’univers virtuel de "U" (soit littéralement "toi"), il laisse exploser une profusion de couleurs et de détails d’une richesse vertigineuse, n’oubliant pas au passage de rendre hommage à la version de Disney, notamment dans sa célèbre scène de danse entre la Belle et la Bête.

Cette dimension visuelle, décuplée par l’enchantement des parties musicales, suffirait déjà à obtenir notre adhésion. Mais ce que le film raconte hisse le résultat vers des cimes d’émotion qui s’appuient sur un double deuil ainsi que sur la violence que subissent deux enfants.

Le virtuel au secours du réel

Exacerbant les qualités enfouies de ses joueuses et de ses joueurs, le monde virtuel de "U" offre non seulement la possibilité d’une réinvention de soi à travers le numérique, mais s’étend au monde réel en permettant de le changer, de le soulager, de panser ses plaies.

En règle générale, le lieu commun fréquemment véhiculé au cinéma, que ce soit dans "Ready Player One" de Spielberg ou d’autres productions, tend à souligner que le virtuel, c’est bien, mais que le réel, c’est mieux. Une dichotomie un poil binaire, séparant deux univers en apposant un regard critique, sinon moraliste, sur les mondes artificiels.

L’originalité de "Belle" est de proposer un contrepoint absolu à cette pensée en révélant à quel point le virtuel peut venir au secours de la réalité, peut enlacer celles et ceux que la vie a lacérés, marqué, meurtri. Sans être dupe des dérives d’Internet et du virtuel, dont Hosoda épingle avec ironie les sponsors et le mercantilisme tout en pointant du doigt les limites de l’anonymat, du fanatisme et des jugements lapidaires qui y règnent, "Belle" s’affirme comme un magnifique éloge de la liberté et de l’altérité.

Rafael Wolf/ads

"Belle", film d’animation de Mamoru Hosoda, à voir actuellement dans les salles de Suisse romande.

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