"Itinéraire d'un enfant gâté", film de la maturité pour Jean-Paul Belmondo

Grand Format

Collection ChristopheL via AFP - Etienne George

Introduction

Comédie sociale et introspective de Claude Lelouch sortie en 1988, "Itinéraire d'un enfant gâté" permet à Jean-Paul Belmondo, 55 ans, de jouer enfin un homme de son âge. Pour ce rôle, il sera récompensé d'un César qu'il ne viendra jamais récupérer. Le film est à voir à la Cinémathèque suisse de Lausanne les 26 mars et 25 avril 2022.

Chapitre 1
L'histoire d'une vie

AFP - ETIENNE GEORGE / Collection ChristopheL

"Itinéraire d’un enfant gâté", c’est l’histoire de Sam Lion, un enfant de la balle, devenu riche, qui, à la cinquantaine, lassé de sa vie, fait semblant de disparaître, jusqu’à ce qu’il tombe sur un homme qui a vingt ans de moins qu'il décide de forger à son image.

Richard Anconina dans le film "Itinéraire d'un enfant gâté". [Cerito Films - Les Films 13 - TF / Collection ChristopheL via AFP]
Richard Anconina dans le film "Itinéraire d'un enfant gâté". [Cerito Films - Les Films 13 - TF / Collection ChristopheL via AFP]

C'est un film tournant, un film étape du mi-temps de la vie pour Claude Lelouch qui sort un peu ébranlé du tournage de "Attention bandits". Le cinéaste a besoin de prendre du recul. Il s’est lassé du cinéma. Mais après avoir vu Jean-Paul Belmondo au théâtre, il décide de lui écrire un rôle. Il remise son projet d’année sabbatique et se lance dans un film qui interroge les envies, les désirs, les manquements du quinquagénaire qu’il est et qu’est son personnage principal.

"Itinéraire d'un enfant gâté", c'est l’histoire d’une vie, mouvementée, haletante, où l’âme voyageuse rencontre l’amour, la famille, le destin et permet le passage de témoin. C’est du Lelouch, virtuose. Le cinéaste est toujours habile à saisir les hommes au vol avec leurs passions et leurs désarrois.

Chapitre 2
Culte de l'aventurier moderne

Collection ChristopheL via AFP - Etienne George

Sam Lion, enfant abandonné, est trouvé un jour par des forains et élevé dans le milieu du cirque. Un accident de trapèze l’oblige pourtant à se reconvertir. Il se marie, deux fois, a deux enfants et devient chef d’entreprise, fabricant de machines de nettoyage. Il est riche, un vrai roi de la finance.

Mais l’ancien funambule n’est pas heureux pour autant; ses enfants l’ennuient, ses femmes, ses employés lui cassent les pieds, l’argent ne fait pas le bonheur. Alors Sam organise sa disparition en mer, lors d’une traversée solitaire et tandis que les siens le pleurent, il essaie de reprendre goût aux vraies valeurs de la vie sur des plages dans des pays chauds.

Mais on n’échappe pas à son destin. Albert Duvivier, Al, un de ses anciens employés, le reconnaît en Afrique sous la casquette du baroudeur. Il tente de le faire chanter. Mais Sam prend Al sous son aile, l’adopte et le place à la tête de son entreprise qu’il dirige désormais à travers lui.

A la base de ce film, il y a une crise existentielle de Claude Lelouch qui culpabilise d’avoir pris une année sabbatique et d’avoir, en quelque sorte, trahi sa passion, le cinéma.

"J’étais devenu un enfant gâté qui reniait tout ce qu’il avait construit patiemment durant de nombreuses années. Mon scénario est né de ce constat. Moi je suis avant tout un cinéaste amateur. Parce que j’ai besoin d’exploser, de faire les choses pour la première fois, de m’amuser. Oui, c’est ce qui me sauve. Je suis un cinéaste amateur et un amateur de cinéma. Si j’étais un cinéaste professionnel, du reste, je le saurais; peut-être m’aurait-on nommé ne serait-ce qu’une fois aux Césars." [Extrait d'une interview parue dans le journal "Le Matin", le 8 décembre 1988]

En 1987, il se rend au Théâtre Marigny voir Jean-Paul Belmondo sur scène dans "Kean", une adaptation par Jean-Paul Sartre de la pièce d'Alexandre Dumas.

Lelouch est touché par la performance théâtrale de l’acteur. Deux jours plus tard, les deux hommes mangent ensemble et le réalisateur lui témoigne toute son admiration avant de lui dire: "J'ai envie d'écrire pour toi (...). J'ai le sentiment que tu es mûr pour une grande aventure au cinéma. Est-ce que tu m'autorises à écrire pour toi?" Non seulement Belmondo accepte, mais il propose d'être le coproducteur de ce film dont il ne connaît pas vraiment le scénario. Il sait uniquement ce que lui en a dit Lelouch: "C'est un film qui ira de surprise en surprise".

>> A voir, Claude Lelouch explique qu'il a écrit son film "Itinéraire d'un enfant gâté" pour Jean-Paul Belmondo et pourquoi ce film est dédié à Jacques Brel ("Spécial cinéma", 5 décembre 1988, archives RTS) :

Claude Lelouch explique qu'il a écrit son film "Itinéraire d'un enfant gâté" pour Jean-Paul Belmondo
Spécial cinéma - Publié le 5 décembre 1988

Comme Lelouch, Jean-Paul Belmondo est à un carrefour de sa vie et de sa carrière. Il a quelque peu abandonné le cinéma pour se consacrer davantage au théâtre. Lelouch lui permet de renouer avec le 7e art et lui offre ce qui sera son dernier grand rôle.

Car Belmondo a envie de retrouver de grandes émotions du cinéma. "Depuis quelque temps déjà, je voulais sortir de l’emploi qui avait été le mien au cinéma pendant des années, explique-t-il. À un moment donné, il faut laisser l’habit au vestiaire, sinon on n’existe plus. Il n’y a plus que l’habit. J’ai tourné une page aujourd’hui. Et Dieu sait si j’ai pris mon pied à me pendre sous des hélicos, à faire le con en voiture. Maintenant, ça c’est fini. J’aimerais qu’il y ait des auteurs, des scénaristes, des écrivains qui pensent à moi pour d’autres rôles, d’autres histoires." [Entretien avec Jean-Pierre Lavoignat, juin 1988]

Ça tombe bien, il y a justement Lelouch qui a besoin de lui et qui lui a concocté un rôle sur mesure. Ce sera la première fois que Belmondo, 55 ans, jouera le rôle d’un homme dans la cinquantaine.

"J’ai besoin d’être tout le temps rattaché, même par un fil très mince, à une réalité, explique Claude Lelouch dans la plaquette d’accompagnement du film. Aucun de mes films n’est tiré d’un livre ou d’une œuvre préexistante. Finalement, ce sont plus des films interview que des films d’auteur. Je n’ai jamais cessé d’être un reporter de ma fiction. 'Itinéraire' aurait pu s’appeler 'Partir-Revenir'. J’avais envie de filmer l’itinéraire complexe d’un homme qui ne sait où aller. C’est un des thèmes du film. Jean-Paul est le contraire de notre société organisée. Totalement disponible, il arrive dans un aéroport et peut s’offrir le luxe d’aller là où les avions partent."

>> A lire également : Belmondo en sept rôles variés

Chapitre 3
Claude Lelouch, un réalisateur gâté

AFP - Derrick Ceyrac

Chapitre 4
Un tournage en forme de passage de témoin

Collection ChristopheL via AFP - Etienne George

Dans "Itinéraire d’un enfant gâté" se pressent Jean-Paul Belmondo, Richard Anconina, mais aussi Marie-Sophie Lelouch, Daniel Gélin, Lio, et Paul Belmondo, le fils de Jean-Paul. Et puis, il y a aussi la famille Gruss, du cirque Gruss, et même Salomé Lelouch, la fille du réalisateur, alors toute petite.

Le tournage d’un Lelouch est une affaire familiale avec des collaborateurs qui sont souvent les mêmes, qui se connaissent, qui savent travailler tous ensemble.

Ce film multiplie les paysages, de Cologne à San Francisco, de Paris à Singapour, du Zimbabwe à Tahiti. En tout 80'000 kilomètres en avion, bateau, voiture, hélicoptère et même en vélo avec trois équipes de tournage et au final 400 heures de film à monter.

Sur le tournage du film "Itinéraire d'un enfant gâté. [Collection ChristopheL via AFP - Etienne George]
Sur le tournage du film "Itinéraire d'un enfant gâté. [Collection ChristopheL via AFP - Etienne George]

Le tournage met surtout face-à-face Jean-Paul Belmondo et Richard Anconina. En les voyant, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle du passage de témoin qui se déroule dans le film. Comme l’avait fait Gabin avec Belmondo dans "Un singe en hiver".

"Je les ai laissés vivre le film. Je sentais qu'ils s'amusaient", explique Claude Lelouch dans l'émission "Spécial cinéma" de la TSR en décembre 1988. "C'est ça que j'aime le plus dans ce film, toutes les scènes où on sent les acteurs vivre et non pas jouer".

>> A voir, Claude Lelouch évoque le tournage d'"Itinéraire d'un enfant gâté" et le travail avec Belmondo et Anconina ("Spécial cinéma", 5 décembre 1988, Archives RTS) :

Interview de Claude Lelouch, Jean-Paul Belmondo et Richard Anconina
Spécial cinéma - Publié le 5 décembre 1988

Chapitre 5
Un César pour Jean-Paul Belmondo

AFP - George Bendrihem

Sorti en salles fin novembre 1988 en France, "Itinéraire d'un enfant gâté" est un succès commercial. Lelouch peut souffler. Belmondo aussi. Car leurs précédents films n’avaient pas vraiment rencontré leur public.

Cette fois-ci, la critique est dans l’ensemble positive. Le réalisateur est heureux d’avoir su mener son projet: six mois pour écrire son scénario, six mois pour tourner son film.

Le réalisateur Claude Lelouch (à gauche) et l'acteur Jean_Paul Belmondo fêtent le record de 100'000 vidéos vendues de leur film "Itinéraire d'un enfant gâté". [AFP - Pascal George]
Le réalisateur Claude Lelouch (à gauche) et l'acteur Jean-Paul Belmondo fêtent en 1990 le record de 100'000 vidéos vendues de leur film "Itinéraire d'un enfant gâté". [AFP - Pascal George]

En 1989, Jean-Paul Belmondo reçoit le César du meilleur acteur pour ce film. Fâché avec l'institution, il ne viendra cependant pas le chercher et ne le récupérera jamais.

Lelouch et Belmondo se retrouveront en 1995 pour tourner un autre film populaire, "Les Misérables".

>> A écouter, L'émission "Travelling" consacrée au film "Itinéraire d'un enfant gâté" :

Itinéraire d'un enfant gâté, Claude Lelouch, 1988. [AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL © Cerito Films - Les Films 13 - TF1 Films Production]AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL © Cerito Films - Les Films 13 - TF1 Films Production
Travelling - Publié le 20 mars 2022