La musique de film privée de cérémonie des Oscars cette année

Le 27 mars 2022 a lieu à Hollywood la 94e cérémonie des Oscars. Chahutée par le Covid, mais également par ses détracteurs, qui lui reprochent d'être à contre-courant des problématiques sociétales et des nouvelles exigences du public, la grand-messe du cinéma américain est depuis quelques années en chute libre dans les audiences télévisées.

En réponse à cette érosion et ce désamour, les producteurs des Oscars ont décidé de raccourcir la cérémonie en supprimant du direct la remise du trophée dans huit catégories, dont celle de la meilleure musique originale. Tollé au sein des milieux professionnels concernés, en particulier chez les compositrices et compositeurs de film qui craignent de voir leur profession reléguée au rang d'art mineur.

Des nominations prestigieuses

La musique du western "The Power of the Dog" de Jane Campion est le grand favori de la 94e cérémonie des Oscars. Pour son long-métrage, la réalisatrice néo-zélandaise s'est attaché les services du compositeur Jonny Greenwood, plus connu pour être le guitariste du groupe Radiohead. Salué pour l'excellence et l'originalité de son travail, le musicien britannique est nommé pour la première fois à l'Oscar de la meilleure musique de film. En face de lui, de prestigieux concurrents: Hans Zimmer, Alberto Iglesias, Nicholas Britell et Germaine Franco.

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En dépit de ce beau casting, et alors que le public entendra sûrement des extraits de toutes ces oeuvres durant la retransmission, l'annonce du gagnant ou de la gagnante ne sera pas diffusée pour la catégorie musique de film. Les catégories courts-métrages, sons et maquillages elles aussi sont exclues du direct. La remise de ces trophées sera enregistrée et disponible en version différée.

Une décision qui scandalise

Scandalisés par cette décision, les professionnels des secteurs concernés ont fait parvenir début mars une lettre ouverte au magazine Variety. La lettre a été signée par plus de 70 personnalités qui demandent aux organisateurs des Oscars de revenir sur cette décision et de ne pas reléguer ces catégories au rang d'art secondaire.

Etonnant de voir la musique de film subir pareille sanction alors que le genre et ses représentants aux Oscars sont plus que jamais populaires et identifiables par le grand public. Hans Zimmer par exemple, dont la musique pour le film "Dune" de Denis Villeneuve part favorite, est une véritable star. Quant à Nicholas Britell, il est déjà incontournable grâce à son thème pour la série "Succession". Citons encore Germaine Franco qui entre dans l'histoire en devenant la première femme engagée sur un long métrage d'animation pour les studios Disney, et pas n'importe lequel puisqu'elle signe la bande originale d'"Encanto".

Une catégorie malmenée

En réalité, ce n'est pas la première fois que la musique de film est malmenée par les Oscars. Au début des années 1990, la catégorie a été l'objet d'une polémique. C'est l'époque où les studios Disney sortent coup sur coup "La petite sirène", "La Belle et la Bête", "Aladdin", "Le roi lion" et, avec eux, font une véritable razzia de prix musicaux. L'Académie des Oscars décide alors de scinder la catégorie en deux, avec d'un côté les compositions pour les comédies et les films musicaux, et de l'autre les compositions pour les drames. Une règle de circonstance, destinée à faire barrage à Disney, qui ne tiendra pas longtemps.

À la suite de cet épisode, au début des années 2000, les Oscars constatent le retour en force des sagas cinématographiques et de leurs nombreuses suites, très populaires. Alors que le compositeur canadien Howard Shore remporte l'Oscar pour la bande originale du premier chapitre du "Seigneur des anneaux", et semble bien parti pour rafler la mise sur toute la trilogie, l'Académie décide d'une nouvelle règle: désormais, la partition d'une suite de film ne devra pas faire appel à des thèmes ou des motifs préexistants. Une règle aux contours extrêmement flous dont Howard Shore fera immédiatement les frais et qui l'empêchera de décrocher la statuette pour le deuxième chapitre de la trilogie, avant que cette même règle ne soit annulée l'année suivante.

On pourrait croire que la musique de film était jusque-là un domaine pris très au sérieux par Hollywood. Alors, pourquoi la faire passer à la trappe en l'écartant aujourd'hui de la cérémonie? Avec de telles coupes, les Oscars vont-ils vraiment retrouver leur pouvoir de séduction, alors qu'ils n'ont toujours pas trouvé de solution satisfaisante pour répondre aux critiques sur le manque de parité et de représentation des minorités? Ce sera au public de trancher.

Pascal Knoerr/ld