Cheveux longs, regards bleu perçant, Johnny (extraordinaire Aliocha Reinert ) a dix ans, il est intelligent et sensible. Mais à son âge, il ne sʹintéresse quʹaux histoires des adultes. Dans sa cité HLM de Forbach en Lorraine, il observe avec curiosité la vie sentimentale agitée de sa jeune mère, vendeuse de cigarettes à la frontière franco-allemande. Il s'occupe de sa petite soeur et de sa mère lorsqu'elle rentre ivre et ne peut compter ni sur son grand frère, ni sur personne. Jusqu'au jour où un nouveau maître, Monsieur Adamski, arrive dans sa classe et l'initie aux livres, à la poésie, à l'art. Grâce à lui, Johnny réalise qu'il est un individu chargé de possibles, un corps, un coeur, un destin en marche. Il ne survit plus, il existe.
Un film sur les éveils
"Petit nature" est un film sur l’éveil, à la fois affectif, intellectuel et sexuel. Il est aussi largement autobiographique. "J'ai pris comme point de départ pour ce film cette prise de conscience que j'ai eue assez tôt, à l'âge de dix ans, de ce sentiment d'avoir envie de partir, de ne pas me sentir comme le reste de ma famille. Je me sentais à l'étroit dans ma région, j'avais le sentiment qu'elle n'offrait pas grand chose pour rêver. Ce sentiment est assez troublant quand on est enfant, particulièrement quand on aime sa famille, car cela signifie qu'à un moment donné, il va falloir la quitter", livre le réalisateur Samuel Theis à la RTS.
Après avoir filmé sa propre mère et son parcours d'entraîneuse de cabaret dans son premier film "Party Girl", Samuel Theis a réitéré l'expérience de travailler avec des comédiens non-professionnels qui vivent dans la région où est tournée le film: "Je souhaitais faire le portrait d'un enfant mais aussi d'un milieu social et d'un territoire. Ces visages, je les filme aussi comme des paysages. Ils trimballent avec eux une vie, un hors champs qui est fort. J'ai décidé de donner à ces personnages des statuts de héros de fiction car les récits de ces vies-là ont autant de valeur que ceux de personnages qui vivraient dans de grands appartements parisiens ou dans de belles villas du sud de la France". Pour autant, le film ne laisse filtrer aucun misérabilisme ou regard de pitié sur cette pauvreté sociale et intellectuelle.
L'inconfort dans le jeu
Partant d'un scénario très écrit et structuré, qu'il lit à ses acteurs, le réalisateur les laisse ensuite improviser sans texte appris par coeur. "J'ai l'impression que ce qui est important dans le jeu, c'est de trouver cet endroit où l'on est dans une forme d'inconfort, de danger permanent. Comme dans la vie, on ne sait pas ce qui va nous arriver la minute qui suit".
Le film entier a été tourné à hauteur d'enfant et offre ce regard sur le monde, avec ce que cela suppose en terme d'opacités puisque certaines choses échappent au jeune Johnny. "Ce qui différencie les adultes des enfants, c'est la question des responsabilités. Elles ne nous tombent pas dessus à 18 ans, le jour de notre majorité, elles s'acquièrent avec l'expérience. Et tous mes personnages sont encore dans l'épreuve de cette responsabilité", explique Samuel Theis. La jeune mère de Johnny, qui se débat seule entre ses trois enfants et son travail, ne fait pas exception.
"Petite nature" fait écho tout entier à la question du transfuge de classe, décrite notamment par le sociologue Pierre Bourdieu et les écrivains Annie Ernaux, Didier Eribon ou encore Edouard Louis. "En s'arrachant à son milieu, on n'entre pas pour autant dans un nouveau monde. On reste un peu entre les deux. Et cela nous oblige d'une certaine manière à rendre justice au monde que l'on a quitté", conclut le réalisateur.
Propos recueillis par Anne Laure Gannac et Julie Evard.
Réalisation web: Melissa Härtel
"Petite nature" est à découvrir en ce moment sur les écrans romands.