"On connaît la chanson", comédie musicale façon Alain Resnais

Grand Format Cinéma

AFP - ARENA FILMS / CAMERA ONE / COLLECTION CHRISTOPHEL

Introduction

Les chansons disent parfois plus que les mots, les grands discours, les dialogues vains. Partant de ce principe, Alain Resnais en fait un film couronné de nombreux César. "On connaît la chanson" est une comédie dramatique sortie en 1997.

Chapitre 1
Un scénario d'une folle audace

Quatre ans après "Smoking/No Smoking", Alain Resnais fait souffler un vent de fraîcheur sur le cinéma hexagonal. Sur un scénario de Jean-Pierre Bacri et d’Agnès Jaoui, le réalisateur se pique de comédie musicale revisitée. Le résultat est un petit bijou d’ingéniosité.

Le principe est simple: il consiste en quelque sorte à communiquer au spectateur les pensées plus ou moins conscientes des personnages du film à travers des chansons populaires allant de Joséphine Baker à Johnny Hallyday, en passant par Julien Clerc, Sylvie Vartan, Charles Aznavour, Jacques Dutronc, Michel Sardou, Gilbert Bécaud, Maurice Chevalier, Arletty, Edith Piaf, Alain Baschung, Sheila, Serge Lama, Léo Ferré, Jane Birkin, France Gall, Pierre Perret, Téléphone, Michel Jonasz et Eddy Mitchell.

Le film est un vaudeville rempli de coups de théâtre, de rencontres, d’amour et de désamour. Son scénario réunit un hypocondriaque pudique, une manipulatrice culpabilisée, une intello déprimée sans le savoir, un mari falot, un agent immobilier dilettante et un jeune loup sans scrupules.

L'affiche de "On connaît la chanson".
L'affiche de "On connaît la chanson".

Il y a Camille qui prépare une thèse d'histoire sur les chevaliers paysans de l’an 1000 au lac de Paladru et gagne sa vie comme guide touristique à Paris. Il y a sa sœur Odile, mariée à Claude, qui a choisi d’acheter un grand appartement à Paris.

Il y a Nicolas, vieux complice d’Odile, qui revient sur Paris après de nombreuses années d’absence. Ça n’amuse pas du tout Claude. Il y a Marc, un séduisant agent immobilier, qui tente de vendre un appartement à Odile.

Et il y a Simon, qui travaille pour Marc, mais qui est aussi passionné d’histoire et qui écrit des pièces historiques radiophoniques, et qui tombe amoureux de Camille. Mais elle, elle est déjà amoureuse de Marc qu’elle a rencontré lors d’une visite d’appartement alors qu’Odile était en retard.

Dans ce film sur le mal de vivre et sur les apparences, on croise 36 bouts de chansons en playback qui remplacent les mots. A l'affiche, une bonne poignée d'excellents acteurs et actrices: Sabine Azéma, Pierre Arditi, Jean-Pierre Bacri, Lambert Wilson, Agnès Jaoui et André Dussolier pour les rôles principaux.

Chapitre 2
L'écriture du scénario

AFP - JACQUES DEMARTHON

"J’admirais la musique de leurs dialogues, et leur jeu sur scène comme à l’écran, confesse Alain Resnais dans les notes de production du film à propos du couple Jaoui/Bacri. Je leur ai donc demandé si ça les amuserait d’écrire un scénario de film. Ils m’ont répondu oui, mais ils ne souhaitaient pas écrire pour d’autres comédiens qu’eux-mêmes. Ça allait tout à fait dans mon sens. (...) Comme je suis un grand admirateur de l’auteur anglais Dennis Potter, je leur ai projeté des passages de ses téléfilms. Dans certains d’entre eux, les personnages se lancent périodiquement dans des chansons populaires interprétées en playback. La forme de notre film s’est donc précisée. Le défi était: comment ne pas copier Potter compte tenu de ma passion pour son œuvre?"

Réponse? Tout simplement en piochant dans le patrimoine de la chanson francophone. C’est l’utilisation de chansons françaises populaires ancrées dans un climat quotidien, excluant tout recours au fantastique, qui donne son originalité au film.

>> A écouter, l'émission "Travelling" consacrée à "On connaît la chanson" :

On connaît la chanson, 1997, Alain Resnais. [AFP - Collection Christophel © Arena Films / Camera One]AFP - Collection Christophel © Arena Films / Camera One
Travelling - Publié le 3 avril 2022

Chansons en playback

Le choix des chansons est un panachage avec le dialogue. Dans le film, les comédiens parlent et tout d’un coup, se mettent à chanter en playback, avec une chanson qui reprend le fil de leur pensée et qui vient naturellement, par assimilation d’idées.

La plupart des extraits sont très courts, coupés quelquefois en plein milieu ce qui correspond à la démarche de la pensée. Ces chansons populaires, ces chansons qui bouleversent, qui nous parlent à l’âme et au cœur, racontent mieux que pourraient le faire tous les dialogues du monde.

Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri enregistrent les scènes sur cassettes en jouant tous les rôles. Alain Resnais écoute et donne ses commentaires sur leur répondeur. Ils commencent à se voir à la fin de la première version. Et c'est ainsi que se construit le scénario.

Chapitre 3
Des chansons qui touchent à l'universel

AFP - Arena Films / Camera One

La solitude, la dépression, la maladie nerveuse, c’est ce que vivent les personnages d’Agnès Jaoui, de Jean-Pierre Bacri et d’André Dussolier dans le film. Mais il y a d’autres sentiments qui affluent. On y parle de l’essentiel: la vie, la mort, l’amour.

Le tout se fait en chantant. Car les refrains permettent à tous les francophones de s’identifier. Les paroles touchent à l’universel, à l’inconscient collectif, à la culture d’une génération, d’un pays.

Jean-Pierre Bacri précise: "Mais on s’était fixé d’autres impératifs. Il fallait que le contenu des chansons soit absolument cohérent avec les dialogues et surtout que ce ne soit jamais une redondance, un commentaire de l’écriture. Si on avait enlevé les chansons, il aurait fallu les remplacer par des dialogues".

>> A écouter, un entretien de Patrick Ferla avec Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri en 1997 à la sortie du film :

Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri le 28 février 1998 au théâtre des Champs Elysées à Paris, après avoir reçu le César du meilleur scénario pour le film "On connaît la chanson" d'Alain Resnais. [AFP - Jack GUEZ]AFP - Jack GUEZ
Petit déjeuner - Publié le 12 novembre 1997

Chapitre 4
Alain Resnais, un virtuose du montage

AFP - MARCELLO MENCARINI

On met longtemps à devenir jeune, disait Picasso. Alain Resnais en est la preuve vivante: à 75 ans, il ose accomplir ce que peu de cinéastes plus jeunes que lui n’auraient osé.

Un film à la forme innovante, mais Alain Resnais a toujours soigné la forme. Sa filmographie est audacieuse. L’homme a pour lui un sens personnel de la narration, un amour des acteurs et des techniciens, un sens de la formule, une originalité sans faille.

"Nuit et Brouillard"

Né en 1922, il commence très jeune à tourner des courts-métrages, puis des documentaires. En 1956, "Nuit et Brouillard" le propulse sur le devant de la scène. C’est un choc, un révélation, un film sur les camps de concentration. Il est interdit de projection au Festival de Cannes pour ne pas froisser les relations diplomatiques avec l'Allemagne.

Le film reste dans les mémoires. Sa deuxième fiction, coscénarisée par Alain Robbe-Grillet, "L'année dernière à Marienbad", est aussi remarquée en 1961. C’est un Resnais virtuose du montage qui se révèle.

Le réalisateur Alain Resnais sur le tournage de "L'année dernière à Marienbad" en 1961. [Keystone - ANONYMOUS]
Le réalisateur Alain Resnais sur le tournage de "L'année dernière à Marienbad" en 1961. [Keystone - ANONYMOUS]

Infatigable, il refuse pourtant cette réputation d’auteur austère qui lui colle à la peau. Il a beau être maître de ses créations, le réalisateur met toujours en avant son équipe. Elle est précieuse, importante, indispensable.

Si Resnais aime le cinéma, c’est avant tout pour s’amuser. Il invente, ou du moins tente d’inventer des formes nouvelles, avec toujours un amour de la théâtralité et des artifices qui hérisse les tenants de la Nouvelle Vague.

Mais le cinéaste, comme à chaque fois, prend soin de s’éloigner d’un format trop convenu. Ici, c’est la comédie musicale qu’il revisite à sa façon.

Pas de scène dansée

Car qui dit comédie musicale, dit presque obligatoirement un ballet, ou tout au moins du mouvement, des déplacements de comédiens qui évoquent une danse. Pas de ça dans "On connaît la chanson". L’idée, c’est d’aller dans la direction du quotidien.

"Ce que nous voulions c’est que les chansons arrivent dans les scènes sans aucune préparation, pour p,rendre la place des poncifs", explique le réalisateur. Mais aussi pour accrocher le sous-texte, car un film d’Alain Resnais n’est jamais neutre.

Après "On connaît la chanson", Alain Resnais fera encore cinq films, le dernier en 2014: "Aimer, boire et chanter". Jolie épitaphe pour un homme qui a autant apprécié la vie, l’amitié et la musique. Le réalisateur meurt à 91 ans le 1er mars 2014.

Chapitre 5
Un tournage en douceur

AFP - ARENA FILMS / CAMERA ONE / COLLECTION CHRISTOPHEL

C’est un tournage facile et doux avec Alain Resnais qui débute le 13 janvier 1997 et se termine le 9 mars de la même année, à Paris, dans le 15e arrondissement et au parc des Buttes-Chaumont.

Le réalisateur est poli, aimable, sérieux, sait accorder sa confiance, et montre du respect envers tous ses collaborateurs. C’est assez rare pour être signalé.

Alain Resnais a une façon très particulière de diriger ses comédiens. Avant le tournage, il organise des séances chez lui en tête-à-tête où on se met d’accord très précisément sur la psychologie du personnage et les situations.

Il arrive parfois qu’il écrive lui-même la biographie du personnage ou la fasse écrire par le comédien. Et une fois sur le plateau, il laisse l’acteur entièrement libre.

>> André Dussolier explique dans "Vertigo" la méthode de travail d'Alain Resnais :

Alain Resnais. [Marcello Mencarini]Marcello Mencarini
Vertigo - Publié le 3 mars 2014

Pour "On connaît la chanson", le travail est un peu particulier, car il faut apprendre des chansons. Calquer ses lèvres sur celle de Johnny Hallyday ou de Sylvie Vartan. Facile? Pas du tout.

Pierre Arditi et Sabine Azéma dans "On connaît la chanson" en 1997. [AFP - Arena Films / Camera One / Collection ChristopheL]
Pierre Arditi et Sabine Azéma dans "On connaît la chanson" en 1997. [AFP - Arena Films / Camera One / Collection ChristopheL]

Pierre Arditi, dans l’émission "Faxculture" de la RTS, expliquait que les parties chantée étaient apprises à la maison et qu'en arrivant le matin, il fallait travailler minutieusement la synchronisation avec l’ingénieur du son.

>> A écouter, Pierre Arditi dans "Faxculture" le 13 novembre 1997 :

Pierre Arditi dans "Faxculture" le 13 novembre 1997
Faxculture - Publié le 13 novembre 1997

Chapitre 6
La sortie du film

AFP - Jack GUEZ

A sa sortie, le public adhère à l’esprit du film. La critique s’enflamme et rares sont ceux qui ne se laissent pas charmer.

Le film gagne de nombreuses récompenses: Prix Louis-Delluc 1997, Prix Méliès 1997. A Berlin, l’Ours d'argent (meilleure contribution artistique) est décerné à Alain Resnais.

Le film rafle aussi des César en 1998: meilleur film, meilleur scénario original pour Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, meilleur acteur pour André Dussollier, meilleur acteur dans un second rôle pour Jean-Pierre Bacri, meilleure actrice dans un second rôle pour Agnès Jaoui, meilleur son pour Pierre Lenoir, Jean-Pierre Laforce et Michel Klochendler, meilleur montage pour Hervé de Luze.

Agnès Jaoui, César 1198 de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle dans ON CONNAÎT LA CHANSON from Académie des César on Vimeo.

De "On connaît la chanson", il est resté notamment la thématique de la thèse du personnage de Camille dans le film: "Les chevaliers paysans de l’an 1000 au lac de Paladru". Elle a beaucoup interloqué, fait rigoler et est devenue, depuis, une sorte de symbole parodique du travail universitaire.