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Gaspar Noé bouleverse avec "Vortex", un film aussi funèbre que lumineux

Françoise Lebrun et Dario Argento dans "Vortex"de Gaspar Noé. [Wild Bunch Distribution]
Françoise Lebrun et Dario Argento dans "Vortex"de Gaspar Noé. - [Wild Bunch Distribution]
Le cinéaste d'œuvres aussi sulfureuses que "Irréversible", "Seul contre tous" ou "Love" délaisse la provocation au profit d'une humanité sans artifice pour raconter la dégénérescence d’un couple de retraités, incarnés avec génie par Dario Argento et Françoise Lebrun.

"A tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur." C'est par cette dédicace à la fois terrible et poignante que Gaspar Noé nous aspire dans ce vortex, ce tourbillon creux qui n'aura qu'une seule issue: la dégénérescence et la mort. Après avoir montré, in extenso, Françoise Hardy chanter, dans une archive de 1965, "On est bien peu de chose, mon amie la rose me l'a dit ce matin", le cinéaste nous révèle ses deux fleurs fanées.

Elle, c'est Françoise Lebrun, actrice mythique de "La maman et la putain" de Jean Eustache, ici bouleversante dans le rôle d'une psychanalyste à la retraite bientôt frappée par la maladie d'Alzheimer. Lui, c'est un théoricien du cinéma volubile et infidèle, pataugeant dans la rédaction brouillonne d'un essai autour des liens entre rêves et films, interprété avec une justesse inouïe par le réalisateur Dario Argento, connu pour ses chefs-d'œuvre horrifiques ("Suspiria" ou "Les frissons de l'angoisse").

Sur la terrasse de leur appartement parisien labyrinthique, saturé de livres, de peintures, de souvenirs, le couple âgé partage un apéro dans une atmosphère calme, douce, sereine. Les deux heures quinze qui suivront le seront beaucoup moins, décortiquant de manière implacable, frontale, mais sans sadisme, la lente marche vers la mort d'un homme au cœur fragile et de son épouse au cerveau anéanti. Face à eux, un fils, joué par Alex Lutz, assiste impuissant à la désintégration de ses parents alors que lui-même a toutes les peines du monde à maintenir en ordre sa propre vie d'ancien junkie.

La mort au travail

En soi, ce que montre "Vortex", aussi terrible soit-il, n'a rien d'original et pourrait rejoindre les innombrables films explorant les ravages d'Alzheimer ("The Father" de Florian Zeller, "Amour" de Michael Haneke). Pourtant, jamais aucun autre long métrage ne nous a semblé aussi juste, aussi puissant, aussi empathique sur le sujet, puisant dans sa forme même toute la singularité de son regard.

Intégralement composé de split-screen, soit un écran divisé en deux, chaque partie suivant respectivement l'homme et la femme du couple central, "Vortex" inscrit de manière permanente cette cassure, cette séparation visuelle qui, loin d'être une afféterie stylistique, souligne l'isolement, la solitude des personnages face à la mort et à la disparition.

Et si la question de la mort au travail s'inscrivait déjà en creux dans certains films précédents de Gaspar Noé, le cinéaste ne s'était jamais autorisé à aller autant vers l'intimité d'une émotion, à se mettre autant au cœur de son œuvre, que ce soit par l'intermédiaire de toiles peintes par son propre père qui apparaissent sur les murs de l'appartement des protagonistes, de rimes évidentes entre le personnage joué par Dario Argento et Noé lui-même, jusqu'à l'inscription de sa date de naissance à la toute fin de "Vortex". A ce stade, il n'est pas inutile de rappeler que Gaspar Noé, victime d'une hémorragie cérébrale en 2019, a réchappé de peu à la mort et que son dernier film délaisse toute velléité de provocation au profit d'une sincérité et d'une mise à nu que l'on ne soupçonnait pas chez le cinéaste.

Un rêve dans un rêve

Citant sans détour Edgar Allan Poe et son fameux "Tout ce que nous voyons ou croyons, n'est qu'un rêve dans un rêve", "Vortex" oscille ainsi entre le réalisme impitoyable et le rêve, ou le cauchemar, éveillé. Gaspar Noé réussit un grand film humble et épuré qui touche et émeut par son sens du paradoxe. Un film d'une beauté funèbre, faussement nihiliste, qui n'oublie jamais que, avant l'inéluctable tombe, c'est le mouvement de la vie qu'il importe de filmer.

Dans le tourbillon intérieur et extérieur qui agite "Vortex", ce qui subsiste après la disparition, c'est l'affection et la proximité avec lesquelles Gaspar Noé a observé ses personnages, c'est le frémissement ténu et magnifique des moindres gestes de tendresses, des caresses furtives, des étreintes partagées par le couple vieillissant. "On est bien peu de chose", prétend la rose, mais si "Vortex" se révèle aussi marquant, c'est bien parce que Noé célèbre ce "peu" comme le tout, comme la vanité certes absurde, mais précieuse, de nos brèves existences humaines.

Rafael Wolf/ld

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