Islande, 895 après J.-C. Revenu dans son royaume après des années à guerroyer, le roi Aurvandil (Ethan Hawke) fait promettre à son jeune fils, Amleth (Alexander Skarsgård), de le venger s’il venait à être tué. Son propre frère, Fjölnir (Claes Bang), lui tend une embuscade et Aurvandil est décapité sous les yeux de son garçon. L’oncle massacre le village, emmène Gudrún (Nicole Kidman), la veuve du roi, et Amleth parvient à fuir avant d’être adopté par des Vikings.
Deux décennies plus tard, Amleth est devenu un homme musculeux, un 'beserker', soit un guerrier-fauve capable d’entrer dans une fureur mystique, qui pille et ravage avec ses frères des villages slaves. Sur sa route, une devineresse (Björk) lui rappelle la promesse qu’il s’était répétée en boucle: venger son père, sauver sa mère et tuer son oncle. Se faisant passer pour un esclave, Amleth intègre l’exploitation agricole de son oncle, qui vit comme un fermier après avoir perdu son trône, et prépare sa vengeance avec l’aide d’Olga (Anya Taylor-Joy), une sorcière slave, esclave comme lui.
Aux origines de Shakespeare
Si l’on reconnaîtra sans peine derrière ce récit les grands axes de la tragédie d’Hamlet, auquel il faut ajouter la présence du crâne du fou Heimir (Willem Dafoe), qui renvoie au bouffon Yorick, "The Northman" s’inspire pourtant davantage de la légende d’Amleth, telle que rédigée par l’historien danois Saxo Grammaticus, légende qui a elle-même été ensuite remaniée par Shakespeare.
Une précision tout sauf anodine qui souligne la volonté précieuse de Robert Eggers de plonger sa caméra dans le cœur, les tripes et l’âme même de la mythologie viking, de ses croyances, de ses rituels comme de sa barbarie. En résulte une épopée vengeresse dont la dimension épique ne rentre jamais en collision avec la tragédie.
Une œuvre aux enjeux basiques, traversée de fulgurances sanglantes, d’une puissance cinématographique inouïe, où la transmission masculine de la violence et de la destruction contraste avec l’avènement d’un pouvoir dominé par l’amour et le féminin. Une grande claque qui retrouve le réalisme mythologique d’un "Conan le barbare", autre référence majeure de "The Northman".
Une mise en scène époustouflante
Cinéaste exceptionnel révélé avec un génial film de sorcière féministe, "The Witch" (2015), puis confirmé avec "The Lighthouse" (2019), avec Willem Dafoe et Robert Pattinson en gardiens de phare, Robert Eggers a su préserver les qualités de son cinéma minimaliste pour embrasser une œuvre plus ample et spectaculaire.
Sa mise en scène reste d’une maîtrise permanente, sa caméra ignore toute précipitation pour suivre au plus près le mouvement de ses personnages dans leur environnement, et le film, visuellement époustouflant, épouse avec une même esthétique, à la fois réaliste et baroque, les visions fantastiques (le Valhalla, paradis de la mythologie nordique) comme les scènes intimistes.
Il faut revenir à des œuvres comme "Le guerrier silencieux" de Nicolas Winding Refn, "Le 13e guerrier" de John McTiernan, voire "Beowulf", le film d’animation de Robert Zemeckis, pour retrouver cette foi absolue dans la capacité du cinéma à incarner, à rendre tangible et palpitant, le souffle des mythes et des légendes.
Rafael Wolf/olhor
"The Northman" (2h14) de Robert Eggers, à voir actuellement dans les salles romandes.