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"Les passagers de la nuit" illumine la France des années 1980

"Les passagers de la nuit" de Mikhaël Hers. [Pyramide Distribution]
Débat autour du film "Les passagers de la nuit" / Vertigo / 5 min. / le 8 juin 2022
Sans une once de nostalgie, le cinéaste Mikhaël Hers ressuscite le Paris du premier septennat de François Mitterrand, entre 1981 et 1988, et dessine le portrait impressionniste d’une mère, de ses deux adolescents et d’une jeune SDF. "Les passagers de la nuit" vous étreint comme une caresse.

La scène se déroule le soir du 10 mai 1981, au moment de l’élection de François Mitterrand. Alors que la liesse s’empare des rues de la capitale, Elisabeth (Charlotte Gainsbourg) pleure le départ de son mari. Seule avec ses deux adolescents, Matthias et Judith, elle cherche un emploi et finit par obtenir un poste de standardiste pour l’émission de nuit de France Inter, animée par son idole, Vanda Dorval (Emmanuelle Béart).

Là, elle croise la route d’une jeune SDF, Talulah, qu’elle prend sous son aile et qu’elle héberge dans une chambre de bonne au-dessus de son appartement.

Une atmosphère tactile et sensitive

Une jeune provinciale qui découvre une famille bienveillante. Un ado qui s’éveille à ses premiers émois amoureux et à l’écriture. Une fille qui milite dans les mouvements contestataires. Une mère timide qui trouve sa place dans le monde. Après "Ce sentiment de l’été" (2015) et "Amanda" (2018), deux œuvres traversées par le poids de la mort, Mikhaël Hers signe, avec "Les passagers de la nuit", la chronique d’une grappe de personnages liés par des destins fluctuants durant le premier septennat de François Mitterrand.

Structuré en trois temps séparés par des ellipses franches, 1981, 1984 et 1988, le film s’écarte du récit générationnel comme du pensum politique pour s’attacher à une dimension plus intimiste, creusant les parcours de ses personnages dont les mues donnent surtout à voir, et à sentir, le mouvement du temps et les petits deuils que l’on fait de ses anciens "moi". Même dans sa reconstitution de l’époque, qui entremêle scènes de fiction et images d’archives, le cinéaste cherche moins la nostalgie que la mélancolie en nous faisant vivre, comme au présent, l’atmosphère très charnelle, tactile, sensitive d’une décennie révolue.

Un art impressionniste

Placée sous la tutelle référentielle de Jacques Rivette, de l’actrice Pascale Ogier, disparue à l’âge de 25 ans, et des "Nuits de la pleine lune" d’Eric Rohmer, "Les passagers de la nuit" infuse lentement, par petite touches, tissant peu à peu les liens profonds qui vont unir les différents personnages et les rassembler, les consoler, les soutenir. L’art impressionniste de Mikhaël Hers agit ici à plein, son récit se construit, l’air de rien, par des points de couleur apparemment disparates formant au final un portrait riche, ample et bouleversant.

On pourrait trouver anodin cette scène de danse commune sur le "Si tu n’existais pas" de Joe Dassin, anecdotiques ces moments où Charlotte Gainsbourg, d’une grâce discrète, contemple la ville en fumant une cigarette sur le rebord de sa fenêtre. C’est pourtant bien dans ces moments fragiles, fugaces, d’une tendresse et d’une douceur infinies, que le film puise toute sa singularité et toute sa force.

Et quand, vers la fin du voyage, Talulah dit: "Souvent, je repense à ces moments qu’on a passés ensemble. C’est comme des cadeaux", et que, en voix off, résonne ce passage des "Petites terres" de Michèle Desbordes: "Il y aura ce que nous avons été pour les autres, simplement nous étions là, il y avait quelque chose de chaud, d’éternel, et nous n’étions jamais les mêmes, ces inconnus magnifiques, des fragments de nous, ces passagers de la nuit", un frisson envahit notre corps entier, une émotion vive nous étreint sans nous lâcher bien après la fin du film.

Rafael Wolf/aq

"Les passagers de la nuit" de Mikhaël Hers, avec Charlotte Gainsbourg, Emmanuelle Béart, Noée Abita, Quito Rayon Richter.

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