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François Ozon: "On n'a pas l'habitude de voir des hommes pleurer à l'écran"

Le réalisateur français François Ozon à Berlin pour présenter son film "Peter von Kant" en février 2022. [AFP - John MacDougal]
François Ozon, Peter Von Kant / Vertigo / 32 min. / le 13 juillet 2022
Histoire d'un amour aussi passionné que torturé, "Peter von Kant" de François Ozon revisite, cinquante ans après, le film de Fassbinder. Avec Denis Ménochet, Stefan Crepon, Khalil Gharbia et Isabelle Adjani, le film est à voir actuellement sur les écrans romands.

Cologne dans les années 1970. Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, rencontre Amir et c'est le coup de foudre. Il lui propose de partager son appartement et de l'aider à se lancer dans le cinéma...

Librement adapté de la pièce de théâtre "Les larmes amères de Petra von Kant" de Rainer Werner Fassbinder, portée à l'écran par le même Fassbinder en 1972, "Peter von Kant" est le nouveau film de François Ozon.

Un film au masculin

Histoire d'un amour lesbien dans la version originale, le réalisateur français ("Huit femmes", "Potiche", "Eté 85", "Tout s'est bien passé") a choisi un demi-siècle plus tard de masculiniser les personnages principaux. Ainsi Petra von Kant est devenue Peter (Denis Ménochet), Marlene, son assistante, supplanté par Karl (Stefan Crepon) et Karin, jeune femme aux origines modestes dont Petra tombe amoureuse, devient Amir (Khalil Gharbia). Seule le personnage de Sidonie, l'actrice diva, interprétée chez Ozon par Isabelle Adjani, est restée.

Le contexte allemand des années 1970 a aussi été maintenu, mais l'action a été transposée de Brême à Cologne. Quant au milieu de la mode initial, il est évincé par celui du cinéma.

Isabelle Adjani, Denis Ménochet et Aminthe Audiard dans "Peter von Kant" de François Ozon. [FOZ - Carole Bethuel]
Isabelle Adjani, Denis Ménochet et Aminthe Audiard dans "Peter von Kant" de François Ozon. [FOZ - Carole Bethuel]

L'ombre de Fassbinder

Interrogé par la RTS sur cette adaptation, le réalisateur français indique: "Fassbinder a fait une pièce de théâtre et un film avec six femmes. Moi j'avais déjà fait 'Huit femmes'. Et je me suis dit que cela ne servait à rien de refaire ce qu'avait fait Fassbinder de manière magnifique. Donc j'ai voulu l'adapter et en donner une lecture différente."

Au moment de faire son film, François Ozon a l'intuition que le réalisateur allemand, à travers Petra, parlait de lui, une sorte d'"autoportrait déguisé". Cette intuition lui sera confirmée par Julian Lorenz, la dernière compagne de Fassbinder, décédé en 1982. Elle lui précise que celui-ci a écrit cette pièce de théâtre en relation avec son histoire d'amour passionnée avec un de ses acteurs fétiches, Günther Kaufmann. Avoir choisi de faire de Peter un cinéaste n'est donc pas un hasard. L'ombre de Fassbinder, qui a beaucoup nourri la cinéphilie de François Ozon, est bien présente.

La difficulté d'aimer

Le réalisateur français est resté très proche du texte original. "C'est très beau. Une belle méditation sur l'amour, sur la passion. C'est un texte qui parle de l'apprentissage, de la difficulté d'aimer. Et le personnage de Peter apprend qu'aimer, ce n'est peut-être pas posséder."

Au contraire du film de Fassbinder qui est très noir, très sombre, Ozon propose quelque chose de plus optimiste. "Dans un film d'amour, c'était aussi important de parler de l'amour du travail. Pour mon personnage [Peter], le fait de faire des films est peut-être consolatoire".

Denis Ménochet (à droite) et Khalil Gharbia dans le film "Peter von Kant" de François Ozon. [FOZ - Carole Bethuel]
Denis Ménochet (à droite) et Khalil Gharbia dans le film "Peter von Kant" de François Ozon. [FOZ - Carole Bethuel]

Et pour camper ce Peter, amoureux totalement égocentrique et dominateur, Ozon a été rechercher Denis Ménochet avec qui il avait déjà tourné dans "Dans la maison" et "Grâce à Dieu". Dans "Peter von Kant", l'acteur français, que l'on avait aussi pu admirer dans "Inglorious Bastards" de Quentin Tarantino, est tout en complexité et en subtilité dans la souffrance. "On n'a pas l'habitude de voir des hommes pleurer à l'écran, et lui il pleure. J'aimais ce contraste entre ce physique viril et cette fragilité", conclut le réalisateur.

Propos recueillis par Raphaël Guillet et Anne Laure Gannac

Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente

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