La nuit du 12 octobre 2016, Clara quitte une soirée et rentre seule chez elle, dans une petite ville encerclée de montagnes. Soudain, une figure masquée s’approche de la jeune femme de 21 ans, l’asperge d’essence et la brûle vive. Nouveau chef de groupe de la brigade criminelle de Grenoble, Yohann (Bastien Bouillon) est chargé de l’enquête.
Après avoir annoncé la mort de leur fille aux parents de Clara, il interroge quelques suspects; un sex friend de Clara qui se fiche éperdument de ce qui lui est arrivé; un rappeur qui venait de poster sur YouTube une chanson où il appelait à "cramer" Clara; ou encore un mari brutal et infidèle condamné pour violence conjugale. Très vite, entre les procédures interminables et les impasses, l’enquête patine et Yohann commence à développer une obsession croissante à l’égard de cette victime qui le hante autant qu’elle hante le film dans son entier.
Un cas irrésolu
Sous ses faux airs de polar lambda, "La nuit du 12" s’écarte autant du naturalisme d’un "L.627" de Bertrand Tavernier que de l’ultra-noirceur artificielle du cinéma d’Olivier Marchal. Certes, le labeur quotidien des policiers guide le récit, comme leurs interrogations existentielles ou l’empathie que certains flics éprouvent pour les victimes ("chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qui le hante"), tel ce collègue de Yohann, interprété par Bouli Lanners, débordé par la colère qu’il éprouve vis-à-vis des suspects.
Mais les faits stricts et les vérités assenées n’intéressent en rien Dominik Moll ("Harry, un ami qui vous veut du bien", "Lemming", "Le moine") qui préfère inoculer une étrangeté, un trouble, une singularité à son film puisant dans l’ambiguïté de ses personnages et de ses situations toute sa profondeur. Posant d’emblée que "20% des homicides en France demeurent irrésolus", et que cette enquête, inspirée d’un fait divers sordide, n’aboutira à aucune conclusion, le film déploie, avec une réelle subtilité, des cercles concentriques qui embrassent des questions, des thèmes de plus en plus larges et passionnants. Plus son récit avance, plus le spectateur doit abandonner tout espoir de dénouement rationnel pour se laisser happer, émouvoir, étonner par cette histoire dont la banalité ouvre vers l’universel.
Une mémoire à porter
Même lorsque "La nuit du 12" aborde de front la question du féminicide et de la violence masculine, qui constituent le cœur de cette histoire, le film ne se réduit pas à une thèse, un sujet, un manifeste. Proche de la fable tragique, il vibre d’une tristesse et d’une mélancolie sourdes, traversé par l’image de cette morte qui paraît s’imprimer derrière chaque image, comme un palimpseste funeste. Jusqu’à ce que le film touche à la question du deuil, du souvenir de Clara que le temps efface, sinon pour ses parents qui continuent à fleurir l’endroit où leur fille a été retrouvée morte, et pour Yohann qui porte en lui, comme une blessure toujours à vif, la mémoire de cette victime de la brutalité des hommes.
Rafael Wolf/cfd
"La nuit du 12" (114’) de Dominik Moll, avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Anouk Grinberg, Pierre Lotti.