"Athena" de Romain Gavras, tragédie grecque en banlieue française
Inscrit dans la filiation de "La Haine" de Mathieu Kassovitz (1995), et "Les Misérables" de Ladj Ly (2019), "Athena" de Romain Gavras prend place dans une cité française fictive au bord de l'explosion suite à l'annonce du décès d'un jeune garçon, apparemment victime d'une bavure policière.
Tandis que son frère Abdel (Dali Benssalah), engagé dans l'armée française, tente de calmer les esprits et d'en appeler à la justice, le benjamin, l'impétueux Karim (Sami Slimane), appelle à l'insurrection. Quant à l'aîné, Moktar (Ouassini Embarek), dealer patenté, il ne cherche qu'à protéger son business. Pris dans l'engrenage de la violence, qui conduira à l'enlèvement d'un CRS (Anthony Bajon), tous trois courent à leur perte. Le tout sur fond de provocations néo-nazis.
"L'idée, c'est de ne pas avoir des méchants et des gentils, c'est plus complexe que ça", a déclaré le réalisateur à l'AFP. "Il y a un mal qui est fait au début du film et c'est le destin qui vient tout ravager", a-t-il ajouté.
Pensé comme une tragédie grecque
Avec Ladj Ly ("Les Misérables") à la coécriture du scénario et que l'on peut d'ailleurs apercevoir dans l'une des premières scènes du film, ce troisième long métrage de Romain Gavras ("Notre jour viendra" (2010) et "Le monde est à toi" (2018)) a été pensé comme une tragédie grecque qui prendrait place aujourd'hui.
Le réalisateur français reprend ici tous les codes du genre, à savoir l'unité de lieu, de temps et d'action, les thématiques de la vengeance, de la violence, de la fatalité, de la loyauté et le destin tragique des personnages principaux. Quant à la cité, dont le nom Athena renvoie également à la Grèce, elle est présentée comme une citadelle antique et devient le théâtre d'âpres batailles.
La bande originale, signée du musicien Surkin et de Romain Gavras lui-même, avec ses compositions épiques pour choeurs, vient elle aussi appuyer le côté tragique et opératique du long métrage.
Une esthétique de la violence
Tourné en banlieue parisienne à Evry, "Athena" est focalisé sur l'action pure et propose une recherche esthétique de la violence ultra poussée, à travers notamment des plans-séquences d'une complexité technique impressionnante. A l'image de celui des douze premières minutes, tourné à hauteur d'homme et qui montre l'assaut d'un commissariat, puis l'arrivée dans la cité d'un fourgon de police volé par les jeunes insurgés.
Sans prétendre à un quelconque réalisme, "Athena" est avant tout un film qui se veut sensoriel et en immersion totale. On reconnaît là une des marques de fabrique de Romain Gavras qui a fait ses armes sur des clips musicaux d'artistes comme Stress, Born Free ou Justice. Certaines de ses productions avaient d'ailleurs suscité la polémique par leur violence extrême.
Au vu de la puissance esthétique du film, il est par ailleurs vraiment dommage qu'il ne puisse être vu que sur petit écran, via Netflix. "Le film n'aurait pas pu se faire" sans la plateforme, estime Romain Gavras, qui reconnaît toutefois son "grand désarroi" de ne pas pouvoir le montrer sur grand écran.
Un film controversé
Présenté à la Mostra de Venise il y a quelques semaines d'où il est parti bredouille, "Athena" fait déjà beaucoup parler de lui et provoque la controverse depuis sa mise en ligne sur Netflix vendredi dernier. Les premiers avis sont très tranchés. Si certains parlent d'"une claque" ou "d'un film coup-de-poing", louant des "effets visuels à couper le souffle", d'autres regrettent une vision caricaturale des banlieues ou dénoncent carrément une incitation à la violence ou une "propagandes anti-flics".
Il faut dire que si la forme a été très travaillée, c'est au détriment du fond. Une fois remis du vertige visuel auquel on vient d'assister, on se demande finalement quel message le réalisateur a voulu faire passer. "L'ambition du film, c'est de montrer qu'il y a toujours dans l'ombre des forces qui poussent à la guerre. Aujourd'hui, l'extrême le plus puissant pour pousser à la guerre, c'est l'extrême droite", expliquait pour sa part le réalisateur lors de la présentation du film à la Mostra de Venise début septembre. "Je fabrique des images, je n'ai pas de solution. Je ne suis pas un homme politique", avait-t-il encore ajouté.
Andréanne Quartier-la-Tente avec agences