Cet ovni de 2h20 ressemble à son réalisateur, qui avait signé "Kurt Cobain: Montage Of Heck" sur le leader suicidé de Nirvana et "The Kid Stays in the Picture" sur Robert Evans, producteur-star du Nouvel Hollywood dans les années 1970.
"Moonage Daydream" n'a ainsi pas vraiment de début, de milieu et de fin. Oubliez les formats traditionnels avec des experts ou proches de l'interprète de "Heroes" filmés dans des studios d'enregistrement. Ici, on entend et on voit seulement Bowie parler, avec des archives inédites (notamment ses tableaux) qui ne sont pas réparties chronologiquement mais par thèmes (le processus de création, l'art et l'argent, etc.).
Expérience immersive
Le spectateur vit ce qui se rapproche d'une "expérience immersive, comme dans un planétarium", selon les mots de Brett Morgen, à qui la succession de l'icône pop a permis d'accéder à plus de cinq millions de fichiers-documents. Plus de cinq ans de travail ont été nécessaires pour arriver au film.
"Moonage Daydream" perd parfois son spectateur avec les considérations du musicien sur l'espace et le temps. Mais le documentaire fait mouche quand Bowie dévoile des pans de son approche artistique.
Le documentaire suit ainsi tout de même le parcours de Bowie à partir de l’apparition de Ziggy Stardust, le personnage inventé et endossé par le chanteur en 1972 qui a fait de lui une star. "Moonage Daydream" emprunte son titre à une chanson du cultissime album "The Return and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars", qui célèbre cette année son demi-siècle. Un album qui a changé l'histoire du rock.
Rock star androgyne, extraterrestre
Ziggy Stardust, l’avatar, fit aussi de David Bowie l'une des figures de proue du courant glam rock, ce rock à strass et paillettes, aux vêtements excentriques et provocants. Cet album-concept évoque un avenir dystopique: Bowie y incarne une rock star androgyne, extraterrestre, envoyée sur Terre avant une apocalypse imminente.
Cette rock star a un succès fulgurant, mais elle tombe vite en disgrâce, dévorée par son ego. Elle annonce la fin du monde dans cinq ans, par manque de ressources, et une société qui va se désintégrer dans une folle paralysie.
Les chansons sont enregistrées très rapidement. Une ou deux prises. Selon l'ingénieur du son de l'album, la chanson "Five Years" a été enregistrée en une seule prise, à la fin de laquelle Bowie a fondu en larmes. Ces métaphores des sommets de la célébrité et de sa solitude domineront l'oeuvre de Bowie.
"The Return and Fall of Ziggy Stardust"
Reste que "The Return and Fall of Ziggy Stardust" est aujourd'hui encore un album acclamé par la critique pour être l'album le plus révolutionnaire de David Bowie et l'un des albums de rock les plus importants de l'histoire. Son impact culturel est pointé unanimement: historique, intemporel, visionnaire. Il souligne déjà les problèmes énergétiques dans son scénario: "Les enfants de ce monde ne veulent plus jouer du rock'n'roll. Il n’y a plus assez d’électricité pour en jouer".
Bowie a défendu cet album en tant qu’œuvre de science-fiction. Il a été très inspiré par ce domaine et notamment par le roman de William Burroughs, "Nova Express", évoquant le contrôle de l'esprit par les machines, sorti en 1964, ou du film de Stanley Kubrick "L’odyssée de l’espace" en 1968.
Modification de l'esthétique culturelle
Dans la célèbre émission britannique "Top of the Pops" peu de temps après la sortie de l'album, Bowie apparaît dans une combinaison moulante bariolée, cheveux roux, coupe mulet, guitare bleue, et devient ce soir-là une icône pour la jeune génération grâce à un message clair: "Sois qui tu es, assume-toi, oublie les conventions". Mais aussi un modèle pour nombres d'artistes, comme The Cure, Depeche Mode, The Smiths, Boy Georges et U2. Bono, le chanteur, s'en souvient. Il avait 12 ans, il se rappelle: "Il était si vif. Si lumineux. Si fluorescent, c'était comme une créature tombée du ciel".
Avec son cinquième album, David Bowie marque un tournant dans l'histoire du rock post-Beatles. Il choque les parents avec sa sexualité tapageuse, brouille les orientations sexuelles, installe la notion de fluidité des genres. Il permet dans les années 1970 aux minorités gay et lesbienne de se sentir comprises, d’exister. Il inaugure aussi des spectacles mêlant musique, mime et théâtre, modifiant définitivement l'esthétique culturelle du 20e siècle.
Sujet radio: Yves Zahno
Adaptation web: olhor avec afp