La Suisse, terre de neutralité, est souvent perçue comme un havre de paix et de prospérité. Mais le plus souvent, le bien-être apparent ne concerne pas les minorités.
Rachel M'Bon, née d'un père congolais et d'une mère suisse-allemande, fait partie du 3% de personnes noires en Suisse. Un groupe encore fortement perçu comme un ensemble monolithique venant d'un "ailleurs sauvage", une expression utilisée par Rachel M'Bon dans le synopsis de son documentaire "Je suis noires". Co-réalisé avec Juliana Fanjul, ce premier long métrage évoque le déni de sa propre identité que peut provoquer ce type de stigmatisation.
Un déni d'origine
Enfant, la réalisatrice suisso-congolaise grandit dans la campagne suisse. Entourée par des camarades blancs, elle est la seule métisse de son école. Victime de micro-agressions quotidiennes, elle se construit dans un déni total de son origine africaine. Dans les premières minutes du film, elle nous montre avec une honnêteté glaçante un souvenir de son enfance. Son père, habillé de manière très élégante, l'attend à la sortie de l'école. Pour ne pas être la risée de sa classe, elle fait semblant de ne pas le connaître.
Ce déni de sa propre origine est une réalité trop longtemps réprimée que Rachel M'Bon assume avec courage aujourd'hui. La réalisatrice confie à la RTS: "Ce souvenir était resté enfoui en moi pendant des décennies, il est remonté a la surface lors d'une discussion avec Juliana. L'envie même de faire le film vient du besoin de parler de ce souvenir douloureux."
En pointant du doigt le besoin d'assimilation impérieux qui l'a guidée durant de nombreuses années, elle parvient à le déconstruire de manière habile et profondément touchante.
Donner la parole à six femmes non blanches
En plus de son propre témoignage, la réalisatrice a voulu donner la parole à d'autres femmes afro-descendantes. Six femmes d'âges et d'origines différentes, mais qui ont toutes en commun une chose en plus d'être non blanche: la réussite sociale.
Pour Juliana Fanjul, co-réalisatrice du film, cette donnée était essentielle: "On a décidé assez vite que pour le casting on voulait des femmes qui cochent toutes les cases de la réussite sociale. Selon moi, il est intéressant de voir que malgré la position, la réussite sociale et les diplômes universitaires, le racisme est toujours là."
Par ailleurs, le choix de n'offrir la parole qu'à des femmes découle du désir de parler de féminisme intersectionnel; la double peine d'être femme et noire ou métisse. Ainsi, Tallulah Bar, Brigitte Lembwadio, Carmel Frohlicher, Armelle Saunier, Paula Charles, Khalissa Akadi, les protagonistes du film, offrent le miroir de leur parcours de vie. Des témoignages qui se croisent en écho et qui dessinent le paysage d'une société encore fortement raciste.
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Propos recueillis par Anne Laure Gannac
Adaptation web: Layla Shlonsky
Article publié le 19 octobre 2022 et réactualisé le 14 mars 2023