La suite de "Black Panther" sortira finalement au cinéma en France, malgré la grogne de Disney
La rumeur enflait depuis mi-septembre et inquiétait tant les salles de cinéma que les aficionados de la licence Marvel en France: insatisfaite de certaines dispositions de la nouvelle "chronologie des médias", la multinationale du divertissement envisageait de ne pas offrir de sortie en salle au second volet de la série Black Panther. Il sortira finalement bel et bien le 9 novembre.
Révélée initialement par le magazine professionnel de l'audiovisuel Le film français, la perspective de ne pas voir ce film diffusé sur grand écran a fait couler beaucoup d'encre. Et pour cause: elle avait de quoi inquiéter les exploitants de salles et l'industrie du cinéma. En 2018, le premier volet du film de super-héros avait en effet terminé dans le top-10 des films les plus vus en France, avec 3,8 millions d'entrées.
En plus d'amener énormément d'affluence dans les salles obscures, ce type de blockbuster contribue ainsi de manière importante au financement de l'audiovisuel français, par le biais d'une taxe prélevée sur les entrées de cinéma et qui finance en grande partie le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).
Conflit très politique
Si l'issue est finalement heureuse pour le cinéma français, la polémique est symptomatique du conflit entre le modèle économique de Disney et le modèle de la chronologie des médias, qui structure la temporalité de l'exploitation des oeuvres audiovisuelles dans l'Hexagone et protège les salles, chaînes et diffuseurs qui financent la création.
Cette réglementation a récemment été amendée pour mieux correspondre à l'évolution des pratiques de consommation des films et séries. Elle impose désormais à Disney comme à Amazon un délai de 17 mois (contre 36 auparavant) entre la diffusion d'un film en salles et sa mise en ligne sur les plateformes de vidéo à la demande sur abonnement (SVOD). Netflix ou OCS, qui contribuent à la création française, et surtout Canal+, l'un des principaux financeurs en France, bénéficient d'un régime spécifique.
Bataille pour le royaume du streaming
Or, désormais, le géant américain mise essentiellement sur sa plateforme Disney+ pour générer des revenus. Le groupe est engagé à coups de milliards dans une bataille mondiale pour la suprématie sur le marché de la SVOD, en plein essor, et qui offre surtout l'avantage de contrôler toute la chaîne de production, de la fabrication à la diffusion des films.
La chronologie des médias à la française représente donc une contrainte importante pour Disney, qui fait pression pour réviser à nouveau ces règles. Dans ce cadre, le groupe a déjà fait usage de son arme la plus redoutée, celle de ne pas sortir ses films en salle. Le film d'animation "Avalonia, l'étrange voyage", qui devait sortir dans la période de Noël, sautera la case des cinémas.
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La bataille est d'autant plus importante pour la multinationale que la France reste l'un des marchés les plus puissants au monde en termes de cinéma et de spectateurs. En 2021, le pays comptabilisait 95,5 millions d'entrées en salle, dont plus de 40 millions pour les films américains et plus de 38 millions pour des productions françaises. Ce chiffre a d'ailleurs largement été affecté par la crise sanitaire: en 2018 et 2019, il dépassait 200 millions d'entrées.
Un système menacé
Face au tollé provoqué par les rumeurs, Disney sortira finalement "Black Panther: Wakanda Forever" au cinéma en France, deux jours avant les Etats-Unis. Mais la multinationale persiste: la chronologie des médias "doit être complètement révisée". De nouvelles négociations sont prévues en novembre pour des décisions qui pourraient être effectives dès début 2023. Disney promet de contribuer "de manière constructive aux réflexions et débats", tout en laissant planer la menace: "Dans l'intervalle, nous continuerons à décider au cas par cas de la stratégie de sortie de nos films".
Cet été, le patron de Netflix estimait lui aussi que le modèle français en la matière n'était "pas soutenable", et que les films devaient sortir sur les plateformes "quelques semaines" et non plusieurs mois après leur arrivée sur grand écran. Un modèle qui a pourtant permis à la France de rester l'une des principales industries du cinéma au monde, avec environ 2000 cinémas, plus de 6000 salles, plus de 300 films par an et quelque 14,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel. Un modèle qui assure également une diversité dans la production audiovisuelle, diversité qui permet aussi de résister au bulldozer hollywoodien et ses ambitions hégémoniques.
Pierrik Jordan avec afp