Le comédien et réalisateur Louis Garrel se dévergonde avec "L'innocent"

"Ta mort ne laissera aucune trace". Les paroles de cet homme plongé dans la pénombre font froid dans le dos. Un gangster, un criminel, un tueur à gages? Tout faux! Le monologue que Michel (Roschdy Zem) vient de débiter avec un rare talent de comédien fait partie d’un atelier de théâtre organisé dans sa prison par Sylvie (Anouk Grinberg), sexagénaire un rien fofolle. Sylvie accepte d’épouser Michel, toujours derrière les barreaux. Le couple finit par vivre en liberté et décide d’ouvrir un magasin de fleurs à Lyon.

Mais pour Abel (Louis Garrel), le fils de Sylvie, la présence de ce nouveau beau-père ne va pas de soi. Convaincu que Michel s’apprête à retomber dans la délinquance, Abel s’improvise détective privé, très mauvais au demeurant, aidé par sa meilleure amie, Clémence (Noémie Merlant), alors qu’il cherche à prouver à sa mère qu’elle a épousé le mauvais type.

L’art du faux

Accompagné par plusieurs tubes des années 1980 (Herbert Léonard, Catherine Lara, Gianna Nannini, Gérard Blanc), "L’innocent" est de ces films inattendus et imprévisibles qui vous étonne, vous épate, vous emporte sans temps morts dans un récit en apparence balisé, mais que Louis Garrel chamboule constamment avec une liberté de ton et une extravagance réjouissante.

S’inspirant d’une histoire vécue par sa propre mère, la comédienne Brigitte Sy, qui animait des atelier de théâtre en prison, l’acteur-réalisateur embrasse un cinéma à la fois intimiste et populaire, brasse les genres avec une dextérité sidérante, passant du film noir au drame familial, du film de braquage à la comédie burlesque et même romantique.

Garrel parvient à glisser, parfois en quelques minutes, du fou rire aux larmes, s’appuyant sur la porosité entre vie et théâtre, existence et jeu, vrai et faux, au sein d’un scénario où il s’agira souvent, pour les personnages, de faire semblant, d’improviser, de jouer pour détourner l’attention des autres. Avec, vertige sublime, la sensation de voir ces mêmes personnages autorisés à révéler leur moi le plus profond en passant par le subterfuge de l’artifice.

>> A écouter: entretien avec Louis Garrel à propos de "L'innocent" :

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Une déclaration d’amour aux comédiens

Enlevé par une mise en scène ludique faite de mini-zooms réguliers, de split screen (séparation de l’écran en plusieurs images simultanées), d’écran large et de couleurs saturées, "L’innocent" emprunte autant au cinéma de François Truffaut, et de son maladroit Antoine Doinel, qu’à la comédie italienne et aux polars rugueux.

Après deux premiers films ("Les deux amis", "L’homme fidèle") très ancrés dans une tradition de cinéma intimiste parisien, et un troisième plus déluré (l’excellent "La croisade"), Louis Garrel se dévergonde pour notre plus grand plaisir et signe un film dont le caractère joueur, pour ainsi dire enfantin, séduit sans jamais draguer.

Authentique déclaration d’amour aux comédiens (dire que Roschdy Zem, Noémie Merlant, Anouk Grinberg et Garrel épatent ici relève de l’euphémisme), "L’innocent" n’est coupable que d’une chose: nous rendre sévèrement accro à ses personnages désarmants et à sa singularité lumineuse.

Rafael Wolf/mh

"L'innocent" de Louis Garrel, avec Roschdy Zem, Noémie Merlant, Anouk Grinberg et Louis Garrel. A voir actuellement dans les salles romandes.