1917. Les combats font rage dans les tranchées de la Grande Guerre. Des soldats allemands tombent comme des mouches sur le front de l’Ouest. Aussitôt morts, leurs uniformes sont récupérés, les trous laissés par les balles sont recousus par des couturières dont les machines crépitent comme des mitraillettes, on arrache les noms des tués, et on tend les uniformes aux prochains soldats dont le destin semble scellé.
En l’occurrence, un groupe de jeunes volontaires, parmi lesquels l’étudiant Paul Baümer et quelques amis, tous galvanisés par le nationalisme de leur professeur. Dans les tranchées, la réalité monstrueuse du conflit douche immédiatement l’enthousiaste patriotique des recrues naïves. Paul devient dès lors la figure principale du film qui se prolonge sur le front de Champagne, au moment où les gradés français et allemands discutent d’une possible armistice, décrétée le 11 novembre 1918, à 11 heures.
Au plus près des soldats
Interdit par le pouvoir nazi, le best-seller d’Erich Maria Remarque "A l’ouest, rien de nouveau", publié en 1929, a été brillamment adapté sur grand écran en 1930 par Lewis Milestone, puis sous la forme d’un téléfilm en 1979 par Delbert Mann. Il fallait sans doute cette version 100% allemande pour nous approcher encore un peu plus intimement de l’expérience terrifiante vécue par ces soldats plongés en pleine horreur.
Certes, les images des tranchées paraissent familières, pour ne pas dire rabâchées. De "1917" aux "Sentiers de la gloire", en passant par "Un long dimanche de fiançailles", "La vie et rien d'autre" et bien d’autres, la Grande Guerre a été maintes fois le théâtre de ces récits dénonçant l’absurdité d’un conflit dévastateur, la bêtise du nationalisme et du patriotisme, la logique assassine du mythe de l’héroïsme.
Mais la force, la singularité de cette version tient dans la proximité prodigieuse qu’elle parvient à instaurer avec ses soldats confrontés à la mort quotidienne. Le cinéaste Edward Berger réussit à caractériser à merveille une mosaïque de personnages tout en distinguant Paul Baümer, dont on suit au plus près les doutes, les douleurs, la peur, l’épuisement. Au point d’espérer jusqu’au bout qu’il parvienne à réchapper à la guerre, comme la promesse fragile d’un avenir possible. Et c’est toute une génération, des 18-20 ans à peine, à laquelle le réalisateur s’attache avec une empathie bouleversante, révélant cette jeunesse sacrifiée par des pères bellicistes rongés par la rancœur et un sens de l’honneur perverti.
Une beauté funèbre
Ponctué de scènes de combats d’une intensité viscérale, "A l’ouest, rien de nouveau" se révèle par ailleurs formellement superbe, maîtrisé, tranchant, implacable, sans jamais viser une virtuosité vaine. Le paradoxe passionnant du film réside dans sa beauté funèbre, dans ces plans suspendus de nature sublimée qui s’opposent à d’autres images, de visages, de champs de bataille labourés, creusés, saccagés par l’horreur et la mort.
On flirte par moments avec les envolées poétiques d’un Terrence Malick, sans pour autant s’abstraire du terrien, du concret, de la boue, du sang, le but premier, et largement atteint, de ces presque deux heures trente de grand cinéma restant de nous faire éprouver les effets de la guerre sur ceux qui l’ont traversée et qui la traversent encore, dans d’autres guerres, ailleurs, et maintenant.
Rafael Wolf/mh