Le film "Unruesh" de Cyril Schäublin, à voir actuellement sur les écrans romands raconte l'histoire de Jeanne, une jeune ouvrière qui fabrique la pièce maîtresse de l'horloge mécanique, le balancier ("Unrueh", le titre du film, signifie le balancier). Exposée à de nouvelles façons d'organiser l'argent, le temps et le travail, elle s'engage dans le mouvement local des horlogers anarchistes, où elle rencontre le voyageur russe Pyotr Kropotkin.
En 1870 à Saint-Imier, ce jeune géographe russe, passionné de politique et très intéressé par les syndicats (en particulier les mouvements anarchistes), décide de se rendre dans cette cité horlogère du Jura bernois afin de faire la connaissance de celles et ceux qui sont à l'initiative de ces mouvements qui vont connaître une expansion mondiale. Saint-Imier reste encore aujourd'hui un haut lieu de l'anarchisme. Le film "Unrueh" de Cyril Schäublin s'intéresse donc aux mouvements sociaux en même temps qu'à l'impact de cette nouvelle technologie qui permet le contrôle du temps.
Un écho international
Le film fait forte impression partout où il passe. Il s'agit du deuxième long métrage du réalisateur suisse Cyril Schäublin. Tourné avec des comédiennes et comédiens amateurs, dans des costumes d'époque, le film est salué par la critique jusqu'au-delà des frontières suisses, notamment aux Etats-Unis et au Mexique. "Le film raconte une histoire internationale. A Saint-Imier, grâce au télégraphe, on a collecté de l'argent pour les caisses de grève aux Etats-Unis. Dans les débuts de l'anarchisme, il y avait aussi l'idée de se connecter à l'internationale pour créer cette solidarité qui aujourd'hui semble un peu naïve, mais qui était au fondement de l'anarchisme et du socialisme", raconte Cyril Schäublin à la RTS.
Le réalisateur suisse vient d'une famille d'horlogers. Sa grand-mère et sa grand-tante, tout comme son arrière-grand-mère, ont notamment travaillé en tant que régleuses sur le balancier qu'évoque le film. Planter le décor de "Unrueh" dans le milieu horloger est donc un choix émotionnel. Mais pas seulement, puisque se concentrer sur ce coeur de la montre, le centre de ce mécanisme de la mesure du temps, permet aussi de comprendre que le temps est une construction et non une réalité absolue. Or, c'est l'un des ingrédients essentiels du capitalisme industriel, rappelle le cinéaste.
La question du temps
Dans les recherches effectuées par Cyril Schäublin pour construire son film, il a notamment interrogé son entourage sur ce que représente le temps. Dans un sens physique, c'est encore mystérieux. Avec une montre, la suite d'événements du tic tac permet de mesurer le temps, les mouvements. "C'est assez bizarre parce que le temps est une mesure des événements totalement imaginaire et pourtant il influence nos vies et nos corps depuis les débuts de cette industrie horlogère. On suit cet imaginaire alors que l'on pourrait organiser nos vies d'une manière tout à fait différente", explique le réalisateur.
"Unrueh" raconte l'aspect technologie autant que métaphorique du temps, mais aussi l'histoire vraie de Pyotr Kropotkin qui découvre les mouvements anarchiques en Suisse. Pour son film, le réalisateur s'est entouré de son frère, anthropologue, et d'un historien qui l'ont aidé à organiser les informations récoltées, mais s'est aussi beaucoup appuyé sur l'expérience en usine de Simone Veil pour raconter les conditions de travail des femmes ouvrières. "Ce que je voulais raconter, c'est comment on construit le passé pour définir le présent. Je crois que c'est une grande question de notre époque: quelle information choisit-on pour définir notre présent", souligne enfin Cyril Schäublin.
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Adaptation web: ld
"Unrueh" est à voir actuellement dans les salles romandes.
Le film était présenté au début du mois de novembre au Festival International du Film de Genève (GIFF), en compétition longs métrages.