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"Retour à Séoul", la naissance d’une femme

Le cinéaste Davy Chou pose lors d'une session photo le 5 janvier 2023 à Paris. [AFP - Christophe ARCHAMBAULT]
Lʹinvité:Le cinéaste Davy Chou sort "Retour à Séoul" / Vertigo / 18 min. / le 23 janvier 2023
Retraçant la quête d’une jeune Française d’origine coréenne qui cherche à retrouver ses parents biologiques, le cinéaste Davy Chou dépasse le sujet de l’adoption pour dessiner le portrait fascinant d’une femme caméléon défiant toute assignation identitaire.

Frédérique Benoît (Park Ji-min, révélation sidérante du film), dite "Freddie", a 25 ans. Elle est rebelle, frondeuse, farouchement indépendante. Un vol annulé en direction du Japon la contraint à revenir, pour la première fois, dans son pays d’origine, à Séoul. Sur place, elle danse, fait la fête, l’amour et entretient avec les autres une forme d’agressivité et de défiance qui cachent un sentiment plus enfoui.

La parenthèse touristique se craquelle au moment où Freddie, avec une curiosité encore vague, se rend auprès de la société responsable des adoptions en Corée du Sud. On lui propose d’envoyer un télégramme à son père et à sa mère biologiques. Elle accepte. La mère reste muette, le père répond et Freddie se retrouve face à un homme remarié qui se confond en excuses, pleure son chagrin, la harcèle par messages et lui demande de rester en Corée avec lui. C’est le début d’un voyage intérieur, de huit années, qui va confronter Freddie à son identité ainsi qu'à celle que les autres lui assignent.

Un voyage intérieur

A l’origine de "Retour à Séoul", il y a l’histoire réelle arrivée à une amie du réalisateur franco-cambodgien Davy Chou ("Le sommeil d’or", "Diamond Island") qui s’est retrouvée face à ses parents biologiques en Corée du Sud, vingt-trois ans après son adoption. De cette situation, qui rappelle que plus de 200'000 enfants sud-coréens ont été adoptés depuis la fin de la guerre de Corée, en 1953, le cinéaste compose une fiction passionnante dont le cœur vibrant s’appuie sur une question essentielle du cinéma: la construction d’un personnage.

Aimanté d’emblée au corps étrange, impénétrable, de son héroïne, "Retour à Séoul" écarte rapidement le piège du film sociétal à sujet comme celui de la fable exotique et réconciliatrice. Les plans larges sont rares, la mise en scène affûtée, précise; Davy Chou privilégie les gros plans et explore à travers le visage de Freddie un territoire intime, mystérieux, opaque qui encourage un voyage plus introspectif qu’attendu.

Une héroïne libre et déroutante

En plus d’échapper à tout schématisme psychologique, ce personnage féminin, qui rappelle autant la Gena Rowlands de John Cassavetes ou le Jack Nicholson dans "5 pièces faciles" de Bob Rafelson; Freddie échappe constamment à ce que le scénario pourrait faire d’elle et elle se réinvente sans cesse, au gré de quelques ellipses franches, de plusieurs années, qui ponctuent le récit. Elle nous donne, à chaque retrouvaille, l’impression troublante de découvrir une Freddie nouvelle, autre, libre au point d’en devenir insaisissable.

Que Davy Chou parvienne à faire exister ce personnage périlleux sur toute la durée de son film tient déjà de l’exploit. Qu’il réussisse en même temps à creuser, comme l’enjeu profond de "Retour à Séoul", le rapport ambivalent, mobile, changeant qui nous magnétise et nous lie à l’énigme de Freddie relève d’un petit miracle. Un miracle qui accepte jusqu’au bout le caractère irrésolu d’un personnage dont les émotions les plus profondes s’expriment moins par les mots que par la musique, et s’achève sur quelques notes de piano qui résonnent avec une force prodigieuse.

Rafael Wolf/ls

"Retour à Séoul" de Davy Chou, avec Park Ji-min, Oh Kwang-rok. (actuellement dans les salles).

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