C’est l’été dans un petit village du sud-est de l’Espagne. Une bande de jeunes trompe son ennui en faisant la fête et en draguant. Pendant ce temps, la rivière menace de sortir de son lit. Une croyance populaire du village refait alors surface: à chaque nouvelle inondation, certaines femmes seraient destinées à disparaître.
Ainsi commence l'histoire du premier long-métrage mi-fantastique, mi-documentaire de la réalisatrice Elena López Riera, "El agua".
Tiraillée entre transmission et émancipation
Dans le film, le personnage d’Ana, (Luna Pamies), 17 ans, est déchiré entre le monde contemporain et les traditions. Comme Elena López Riera, la jeune fille a été élevée par trois générations de femmes et bercée par les mythologies locales. "J’ai surtout été élevée par des femmes: ma mère, ma grand-mère, mes voisines. Il y avait une communauté très importante de femmes autour de moi. J’ai voulu représenter cela à travers ce film", précise à la RTS la réalisatrice, qui a choisi de tourner dans son village natal. "Ces croyances m'ont accompagnée pendant toute ma vie au village, jusqu'à mes 18 ans où je l’ai quitté."
La jeune femme cherche alors à s’émanciper, dans un parcours à l’opposé de ceux de sa mère et de sa grand-mère, femmes au foyer. "Mais j’inventais ensuite tous les prétextes possibles et imaginables pour y revenir! dit-elle en riant. C’est la fracture de l’exil: on quitte le village, mais le village ne nous quitte jamais. Cette contradiction m’anime lorsque je fais des films."
Un tournage local
Dans "El agua" de nombreux rôles sont interprétés par des non-professionnels. "Il s’agit de personnes habitant le village. Nous nous sommes accompagnés mutuellement dans la préparation", ajoute Elena López Riera. Durant le film, des interludes montrent des interviews de la famille de la réalisatrice. "C’est l’essence du film, car il est né grâce à la parole de ces femmes. Pour moi, il n’y avait pas de meilleur moyen de leur rendre hommage que de montrer leur parole libre, digne et frontale."
La réalisatrice Elena López Riera vit aujourd’hui entre Madrid et la Suisse, où elle enseigne le cinéma et la littérature comparée à la Haute école d’art et de design et à l’Université de Genève. Avant "El agua" en 2022, elle a réalisé trois court-métrages récompensés en Suisse et en Espagne, "Pueblo" (2015), "Las Vísceras" (2016) et "Los que desean" (2018).
Propos recueillis par Julie Evard
Adaptation web: Myriam Semaani
"El agua", à voir dès le 1er mars 2023 dans les salles romandes.