"Mon crime" a été librement adapté d’une pièce de théâtre de 1934 qui se déroule dans les années 1930, mais le réalisateur français François Ozon y a insufflé un vent post #MeToo. Le film, qui repose sur un duo féminin, porte en triomphe l'entraide à une période où les femmes avaient bien des devoirs et très peu de droits.
Il raconte l'histoire de Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz), jeune et jolie actrice sans le sou et sans talent, accusée à tort d'avoir tué un influent producteur de théâtre, Montferrand. Aidée de sa meilleure amie et colocataire Pauline (Rebecca Marder), jeune avocate au chômage, elle décide de plaider la légitime défense et l'affaire devient un symbole de l'oppression des femmes par les hommes. Acquittée par un jury entièrement masculin, Madeleine devient une célèbre actrice dont la vie est faite de gloire et de succès. Jusqu'à ce que la vérité éclate au grand jour.
Un récit ancré dans son époque
Presqu'un siècle après l'écriture de la pièce de théâtre qui a inspiré le film, François Ozon n'a pas souhaité en moderniser le propos. "Si j'avais situé le film aujourd'hui, je n'aurais pas pu faire une comédie, explique le réalisateur à la RTS. Ce sont des sujets à propos desquels on ne peut pas forcément rire aujourd'hui. Dans les années 1930, le contexte historique est très documenté. En France, les femmes n'avaient pas le droit de vote ni le droit à un carnet de chèques, le patriarcat était très lourd et il y avait beaucoup de femmes criminelles". Plusieurs affaires ont d'ailleurs défrayé la chronique judiciaire à cette époque-là, comme celles de Violette Nozière ou des soeurs Papin.
Mais les questions développées par les personnages féminins dans le film perdurent jusqu'à aujourd'hui, rappelle le réalisateur. "Ces deux jeunes filles deviennent féministes presque à leur insu grâce à leur intelligence et leur débrouille pour s'en sortir dans une société qui ne les gâte pas et qui les emprisonne dans des rôles".
Un propos résolument moderne
Interprète de Madeleine Verdier et récemment césarisée pour "Les Amandiers" de Valeria Bruni-Tedeschi, l'actrice Nadia Tereszkiewicz salue les résonances du film avec le contexte actuel. "François Ozon a fait confiance à ce duo qui célèbre l'amitié féminine. Il y a à la fois ce plaisir dingue de se plonger dans les années 1930, les costumes, la langue, etc. Et en même temps tous les échos avec l'actualité. (...) Cette interrogation sur la vérité dans le mensonge et sur comment la parole peut être transmise à travers le jeu, je trouve cela fantastique".
A travers ce récit burlesque, c’est en effet la libération de la parole et la sororité que questionne le cinéaste. "C'est comme un pied de nez aux comédies des années 1930 dans lesquelles les actrices s'arrachaient les cheveux. Ici, elles ont besoin l'une de l'autre, elles sont soudées pour s'émanciper et échapper à leur condition. Je trouve cela très beau de montrer que la sororité existe et que l'on en a besoin", explique Nadia Tereszkiewicz.
Pour dénicher les interprètes de ce duo de femmes, François Ozon a pris son temps, à l'affût d'une complicité entre les actrices. "Ce n'est pas du tout un film sur la rivalité féminine, au contraire. (...) Avec Nadia et Rebecca, j'ai tout de suite senti une alchimie et un plaisir de jouer. (...) J'avais besoin d'actrices sur lesquelles je puisse m'appuyer, car elles portent vraiment le film sur leurs épaules. J'ai eu de la chance et je suis ravi de mon choix: elles sont toutes les deux magnifiques et à mon avis, ce sont deux grandes actrices du cinéma français."
De grands noms dans des petits rôles
A leurs côtés, dans des rôles plus secondaires, on trouve de grands noms du cinéma: Isabelle Huppert, André Dussollier, Dany Boon ou encore Fabrice Luchini. Un parti pris assumé par François Ozon, qui trouve normal que les stars n'occupent pas toujours les premiers rôles.
"C'est leur intelligence d'accepter des seconds rôles, qui sont souvent très payants. Les gens adorent Isabelle Huppert dans le film car elle est très surprenante. Effectivement, elle n'est pas tout de suite là, mais le plaisir est d'autant plus grand quand elle arrive. Les acteurs intelligents savent qu'il y a des bons rôles et des mauvais rôles. L'important n'est pas la grandeur du rôle", conclut le réalisateur français.
Propos recueillis par Julie Evard, Pierre Philippe Cadert et Rafael Wolf
Adaptation web: Melissa Härtel
"Mon crime", de François Ozon, avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert, André Dussollier, Dany Boon, Fabrice Luchini. A voir actuellement dans les salles romandes.