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"John Wick 4" propulse Keanu Reeves sur les rives de l’Enfer

Visuel du film "John Wick 4". [AFP - 87Eleven Entertainment]
Débat ciné / Vertigo / 21 min. / le 22 mars 2023
Initiée en 2014, la saga John Wick a repoussé les limites du cinéma d’action et créé une mythologie autour de son personnage de tueur à gages taciturne. Le quatrième volet, à voir actuellement au cinéma, explose les standards en matière de séquences d’action. Jubilatoire!

Après s’être lancé dans une vendetta meurtrière pour venger l’assassinat de son chien, après avoir été contraint de sortir de sa retraite volontaire pour tuer la sœur d’un mafieux italien machiavélique, après avoir été excommunié de la confrérie de la Grande Table et avoir vu sa tête mise à prix, John Wick (Keanu Reeves), le redoutable tueur à gages veuf et taciturne, rempile pour ce quatrième volet où le Marquis de Gramont (Bill Skarsgard), l’un des chefs de la Grande Table, veut sa mort.

Dernière zone pacifiée où les assassins n’ont pas le droit de sortir leurs armes, l’Hôtel Continental de New York est dynamité et son concierge, le fameux Charon (Lance Reddick, récemment décédé), exécuté par le Marquis. Gramont en profite pour charger un assassin aveugle, Caine (Donnie Yen), de tuer son ancien ami, John Wick. Traqué de toute part, sans personne sur qui compter, Wick élabore un moyen de déjouer l’organisation de la Grande Table dans une course contre la montre qui l’emmène en Jordanie, au Japon, à Berlin, à New York puis Paris.

Généreux et radical

Telle la somme offerte pour la tête de John Wick, passée de 2 millions dans le premier volet à 7 dans le second, 14 dans le troisième, puis 30 dans celui-ci, la saga John Wick n’a cessé d’enfler au point de devenir un mètre étalon du cinéma d’action contemporain. Un principe de surenchère particulièrement visible dans ce quatrième épisode qui flirte avec les deux heures cinquante et multiplie les scènes d’action.

Etirées au-delà du raisonnable, parfois vingt minutes de fusillades continues à l’écran, elles paraîtront indigestes aux détracteurs de la saga et du cinéma d’action en général, mais s’imposeront, pour les amateurs, comme un sommet de générosité et de radicalité. Le tout dominé par un décorum mêlant la splendeur muséale et aristocratique à la modernité avant-gardiste, les néons et les miroirs face aux tableaux de maîtres et aux palais monarchiques.

Que ce soit une course-poursuite dantesque sur le rond-point bondé de l’Arc de Triomphe à Paris, une scène quasiment burlesque de montée et de descente des escaliers menant au Sacré-Cœur, une fusillade en boîte de nuit, une autre dans une architecture totalement vitrée, les moments anthologiques se succèdent avec toute la virtuosité de Chad Stahelski, ancien cascadeur devenu cinéaste. Sa mise en scène stylisée à outrance saisit à merveille l’action au sein du cadre sans jamais céder au découpage épileptique et illisible si coutumier à ce genre de productions.

Si l’essence primaire du cinéma consiste à inscrire le mouvement d’un corps dans un espace, alors "John Wick 4" peut être vu comme l’expression la plus pure, la plus directe, la plus basique de la force de sidération du septième art.

Keanu Reeves dans "John Wick 4". [AFP - 87Eleven Entertainment]
Keanu Reeves dans "John Wick 4". [AFP - 87Eleven Entertainment]

Wick le fantôme

Non content de nous avoir décroché la mâchoire plusieurs fois durant ces près de trois heures de carnage hallucinant, "John Wick 4" peut se targuer de pousser à son point de non-retour un anti-héros qui, dès le premier volet, est apparu comme un mort en sursis. Surnommé le Baba Yaga, le croquemitaine, Wick n’est rien d’autre qu’un fantôme privé d’accès à l’au-delà. La référence évidente à la mythologie grecque développée dans la saga, notamment par le personnage de Charon (le concierge de l’hôtel Continental, passeur des Enfers dans la mythologie) et les pièces utilisées par les tueurs à gages qui rappellent celles demandées par Charon pour traverser le Styx, souligne à quel point John Wick se trouve dans la position de cette âme errante, sans possibilité de rédemption ni d’échappatoire.

Ainsi, l’univers décrit dans la saga John Wick estompe, au fil de ses épisodes, toute idée du monde réel pour le substituer par une sorte d’univers parallèle dominé par des êtres coincés dans les limbes et qui ne rêvent que d’une chose: mourir une bonne fois pour toutes. Plus qu’une machine impitoyable à tuer à la chaîne, John Wick draine avec lui la mélancolie de celui qui n’appartient plus à ce monde depuis longtemps, sans aucune raison de vivre ni de mourir.

La frénésie d’action, qui joue sur le motif de la répétition, ne fait ici qu’inscrire, avec une beauté inattendue, le mouvement de son anti-héros, figure tragique de condamné qui tourne en rond en quête d’une libération impossible.

Rafael Wolf/mh

"John Wick 4" de Chad Stahelski, avec Keanu Reeves, Bill Skarsgard, Laurence Fishburne, Scott Adkins, à voir actuellement dans les salles romandes.

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