"Tout sur ma mère", sublime plaidoyer de Pedro Almodóvar pour les femmes
Grand Format Cinéma
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Scène tirée du film "Tout sur ma mère" de Pedro Almodóvar (1999) / Deseo, el / Collection Christophel via AFP
Introduction
Dans ce mélodrame flamboyant sorti en 1999, Pedro Almodóvar continue de magnifier les femmes et la maternité. "Tout sur ma mère" aborde la perte brutale d’un enfant, les liens filiaux et ceux de l’amitié. Le film est à voir à la Cinémathèque suisse de Lausanne ce samedi.
Chapitre 1
Un film à la maturité sereine
Scène tirée du film "Tout sur ma mère" de Pedro Almodóvar (1999)/ Archives du 7eme Art / Photo12/ AFP
"Tout sur ma mère" – "Todo sobre mi madre" en espagnol - raconte l’histoire de Manuela, une infirmière qui vit seule avec Esteban, son fils de 17 ans passionné de littérature.
Leur destin bascule tragiquement un soir, lors d’une représentation théâtrale d’"Un tramway nommé désir". A la sortie de la pièce, Esteban se fait écraser par une voiture sous les yeux de sa mère. Désespérée, celle-ci s'efforce alors de réaliser la promesse faite à son fils: renouer avec son père.
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En 1998, quand Pedro Almodóvar commence à travailler sur son film, il est déjà un cinéaste accompli et reconnu à l’international, notamment grâce à "Femmes au bord de la crise de nerfs" (1988) et "Talons aiguilles" (1991).
Ses films débridés, colorés, loufoques et remplis de travestis font courir les spectatrices et spectateurs dans les cinémas. Avec son treizième film, "Tout sur ma mère", le registre se fait plus grave, plus mûr.
Chapitre 2
Des femmes fortes
Cecilia Roth, Rosa Maria Sarda, Penelope Cruz dans "Tout sur ma mère" de Pedro Almodóvar (1999) / Deseo, El / Collection Christophel / AFP - DESEO EL
Dans "Tout sur ma mère", le spectateur s’attache rapidement aux destins émouvants des protagonistes. Il faut dire que Pedro Almodóvar a créé des rôles féminins forts et atypiques: une infirmière qui perd son fils, une comédienne de renom homosexuelle, une religieuse enceinte et séropositive et une prostituée travestie.
"Tout sur ma mère" permet à toutes ces femmes d’horizons divers de s’exprimer, de se rencontrer, d’échanger et de montrer leur dignité et leur courage face aux épreuves qu’elles ont vécues.
A travers ces figures féminines, Pedro Almodóvar peut développer une thématique sur le deuil et le cycle de la vie, sur la reconstruction, sur l’abandon, sur les liens filiaux et ceux de l’amitié.
Pour incarner ces femmes fortes à l’écran, le réalisateur espagnol fait appel à quelques-unes de ses actrices fétiches: Marisa Paredes, Cecilia Roth et Penélope Cruz.
"Une des caractéristiques de mon cinéma, ce sont les personnages féminins, des femmes qui souffrent, très extraverties, quelle que soit leur profession, jeune fille moderne, bonne sœur, publicitaire, avocate, femme au foyer. Je crois que j’ai toujours essayé de les aider à survivre. C’est dans ce sens que je parle du pouvoir du réalisateur", explique Pedro Almodóvar.
Un pouvoir dont il use sur ses actrices. Selon ses propres dires, Almodóvar fait pleurer Cecilia Roth hors champ, entre chaque séquence. Elle entre en scène brisée, mais sans une larme. C’est important, car "Tout sur ma mère" est un mélodrame, confie le réalisateur espagnol. "Il faut jouer tout en retenue", poursuit-il.
Ces femmes vivent des situations propices à tous les débordements; elles auraient toutes les raisons de sangloter, de hurler, de se taper la tête contre les murs. Je leur ai demandé au contraire, une sobriété presque aride... Comme si j’étais un cinéaste tchèque, ou mieux suédois…je cherchais une vérité humaine.
Chapitre 3
Une mère inspirante
Pedro Almodóvar et sa mère Francisca Caballero dans le film "Kika"/Jean-Marie Leroy/AFP - JEAN MARIE LEROY
Contrairement à son titre, "Tout sur ma mère" n’est pas un film sur la mère de Pedro Almodóvar, mais un film sur la maternité et sur le fait d’engendrer. "Un besoin irrationnel lié à l’être humain", confie le cinéaste espagnol. "L’accouchement, qu’il soit physique ou artistique, est au cœur de tous mes films", poursuit-il.
Pedro Almodóvar naît dans la Mancha, une province espagnole célèbre pour être la demeure de Don Quichotte. C’est ici que le cinéaste grandit, dans une société patriarcale, en contemplant le spectacle de sa mère, Francisca Caballero, lavant les pieds de sa mère dans une cuvette. Une image qui le hantera pendant de nombreuses années.
Pour survivre dans cet univers machiste et affronter les événements de la vie, Francisca Caballero reste sereine et pleine de gaieté, un modèle à suivre pour Pedro Almodóvar. C’est d’ailleurs elle qui lui insuffle le goût du cinéma.
Ma mère est une femme âgée de la Mancha, très amusante dont j’ai dressé le portrait fidèle dans 'La Fleur de mon secret' à travers le rôle de la mère de Marisa Paredes.
Si la mère du réalisateur joue dans plusieurs de ses films, elle ne se voit jamais à l’écran. Comme elle ne verra pas non plus "Tout sur ma mère", puisqu’elle meurt six mois après la sortie du film, en septembre 1999.
Chapitre 4
Almodóvar, un cinéaste obsessionnel
Les remerciements de Pedro Almodóvar - "Tout sur ma mère" reçoit le César du meilleur film étranger (2000) / Thomas Coex / AFP - THOMAS COEX
Pedro Almodóvar met un soin particulier à choisir les titres de ses bandes originales qui ont toujours passablement de succès. Pour "Tout sur ma mère", il engage son compositeur habituel, Alberto Iglesias, son fidèle compagnon depuis "La fleur de mon secret" (1995), et qui a remporté onze Goyas (l’équivalent espagnol des César) pour la meilleure musique originale.
Pour "Tout sur ma mère", Alberto Iglesias se tourne vers le jazz pour ce film largement inspiré du cinéma américain, un mélange intime de "All About Eve" de Joseph L. Mankiewicz et de "Opening Night" de John Cassavetes.
Eclectique dans ses choix, Pedro Almodóvar fait appel à Ismaël Lo, un musicien et chanteur sénégalais pour devenir un des leitmotivs de son film. Sa magnifique chanson "Tajabone" en devient la signature musicale.
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Autre caractéristique du cinéaste espagnol: la palette de couleurs de ses films. Almodóvar aime le rouge, passionnément, et cela se voit. Le rouge se retrouve partout: sur les habits, les chaussures, les éléments de décor, les fleurs, le sang et la nourriture (avec une prédilection pour les scènes de tomates découpées).
"Les premiers films que j’ai vus étaient en technicolor, et au début, je demandais à mes chefs opérateur la teinte technicolor. On ne pouvait déjà plus dans les années 1980, mais c’est vers ça que je tends. C’est pour ça que les couleurs de mes films sont saturées, éclatantes, parfois même criardes".
Chapitre 5
Accueil du film
Scène tirée du film "Tout sur ma mère" de Pedro Almodóvar (1999) / Deseo, El / Collection Christophel / AFP - DESEO EL
Bien qu’il ait été membre du jury en 1992, c’est la première fois que Pedro Almodóvar présente un film en compétition à Cannes en 1999. Tous les yeux sont donc braqués sur ce réalisateur au rayonnement international qui ose signer, à l’aube de l’an 2000, un mélodrame somptueux.
Pedro Almodóvar apparaît comme le grand favori pour la Palme d'or, les journalistes misent tout sur lui. Au final, son film "Tout sur ma mère" se contentera du Prix de la mise en scène.
Qu’importe. La critique aime ce film de la maturité, loin des explosions de folie de "Femmes au bord de la crise de nerfs". Tout comme le public, principalement féminin, qui est également conquis.
Après Cannes, le film vit sa vie, reçoit d’autres récompenses: Prix du cinéma européen en 1999, César du meilleur film étranger, sept Goyas, et l’Oscar du meilleur film étranger. Le temps passe et le rêve de Pedro Almodóvar se réalise: "Tout sur ma mère" devient un grand classique du cinéma.