"Un jour sans fin", un voyage initiatique temporel devenu culte

Grand Format Cinéma

AFP

Introduction

"Un jour sans fin", "Groundhog Day" en anglais, est une comédie américaine culte réalisée par Harold Ramis en 1993. Le film tourne et se retourne sur lui-même, s'étend sur une journée qui recommence sans cesse pour son protagoniste principal, incarné par Bill Murray. Décryptage d'un film culte qui fête cette année ses 30 ans.

Chapitre 1
Un voyage initiatique temporel

AFP - COLUMBIA PICTURES

Dans "Un jour sans fin" de Harold Ramis, Bill Murray interprète un présentateur météo vedette, cynique et misanthrope, chargé de chroniquer l'événement du moment dans une petite ville de Pennsylvanie. Mais il va se retrouver à revivre sans fin et sans comprendre pourquoi cette fameuse journée du 2 février.

Bill Murray, Andie MacDowell et Chris Elliott dans "Un jour sans fin". [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]
Bill Murray, Andie MacDowell et Chris Elliott dans "Un jour sans fin". [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]

Harold Ramis tourne avec grand plaisir cette histoire extraordinaire poussant les limites de la situation, explorant tous les possibles, comme au théâtre. Tout se répète et pourtant évolue, permettant au personnage de Bill Murray de devenir quelqu'un de bien au terme de son voyage initiatique temporel.

En 1993, le film cartonne au box-office. On s'y amuse beaucoup, critique et public en redemandent. Le film est maintes fois récompensé, mais surtout, il entre dans la culture populaire et devient l'une des meilleures comédies des années 1990.

Chapitre 2
Le jour de la marmotte

AFP - COLUMBIA PICTURES

Phil Connors est imbu de lui-même. Présentateur vedette des bulletins météo sur une grande chaîne de Pittsburgh, le voilà contraint, comme chaque année, de couvrir l'événement saisonnier dont toute la région parle, le Groundhog Day, le jour de la marmotte.

Flanqué de son caméraman et de sa productrice, le voilà qui se rend dans la ville de Punxsutawney pour couvrir cette tradition un peu carnavalesque où une marmotte est réveillée par des notables à chapeau haut de forme et prédira le temps qu'il fera pour les dernières semaines de l'hiver.

Andie MacDowell et Chris Elliott dans "Un jour sans fin". [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]
Andie MacDowell et Chris Elliott dans "Un jour sans fin". [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]

Comme à son habitude, Phil Connors se montre odieux. Faisant son reportage sans passion, cynique et désagréable. Il est bien décidé à rentrer le plus vite possible à Pittsburgh. Mais une tempête de neige s'abat sur la région, obligeant l'équipe à dormir à Punxsutawney.

Lorsqu'il se réveille, le lendemain matin, il éprouve la désagréable sensation que tout se déroule comme la vieille. Petit à petit il prend conscience qu'il est en train de revivre exactement la même journée.

D'abord incrédule, il passe par tous les états, la panique, la colère puis la résignation. Jusqu'à s'habituer petit à petit à l'impossible et à faire de cette journée sans fin des moments d'apprentissages extraordinaires.

Chapitre 3
Inspiré d'un vampire

AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION

Le scénariste Danny Rubin est à l'origine du projet. Au début des années 1990, il pose la trame générale de cette histoire, quelques éléments clés, et s'en va trouver Harold Ramis et Trevor Albert.

Son histoire, il en a l'idée au cinéma. En attendant que la projection de son film débute, il lit le roman d'Anne Rice "Lestat le vampire" et cogite. Les vampires sont quasiment immortels. Du moins, ont-ils un bout d'éternité à leur disposition. Et que se passe-t-il quand on a l'éternité devant soi? Notre rapport au monde change. Les règles et les limites morales évoluent. Ce postulat posé, comment occuper son temps et que faire de son éternité?

Danny Rubin esquisse son intrigue, se souvenant d'un concept qu'il avait élaboré deux ans plus tôt. Une histoire brève où un homme se réveille chaque matin en constatant qu'il revit la même journée inlassablement. La répétition de la même journée présente l'avantage de ne pas multiplier les décors et les époques. Pas de futur, pas de passé, juste le présent. Et puis, la répétition a l'avantage de permettre de développer des effets comiques et tragiques.

Fort de son idée, Danny Rubin souhaite ancrer cette journée répétitive dans un vrai calendrier et l'inscrire dans une célébration populaire. Il tombe sur le 2 février, le fameux jour de la marmotte. Une fête historique, locale, à grand potentiel comique.

>> A lire aussi : Comme il y a 30 ans dans "Un jour sans fin", c'est le jour de la marmotte en Pennsylvanie

En huit semaines, Danny Rubin a terminé l'ébauche de son histoire. Il décide de ne pas insister sur le phénomène qui fait que seul Phil Connors sera piégé dans la boucle du temps. Ce qui est intéressant, c'est le processus et savoir ce que va faire ce personnage piégé dans la même journée. Comment va-t-il évoluer? Que va-t-il faire de son éternité? Retrouvera-t-il un jour une existence avec une finalité?

L'ébauche de script attire Harold Ramis. Harold Ramis est l'homme qui est derrière des projets aussi rocambolesque que "National Lampoon's Vacation" et "Ghostbusters", "SOS Fantômes".

Danny Rubin et Harold Ramis développent le scénario à deux.

Chapitre 4
Bill Murray et les cinq étapes du deuil

AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION

Pour Harold Ramis, le choix de Bill Murray pour interpréter Phil Connors est une évidence. "La personnalité de Bill est un mélange de ce qu'il y a de pire dans l'être humain. Et puis, il y avait longtemps que je pensais à lui, c'était fascinant de l'imaginer prisonnier du temps, coincé dans cette ville, de penser à ce qu'il ferait, comment il appréhenderait cette journée du Groundhog Day contraint de revivre et revivre encore. L'histoire semblait aussi coïncider avec ses idées: dans sa vie, il a décidé de faire de chaque jour une journée particulière", disait Harold Ramis dans une interview.

Harold Ramis développe son arc narratif en trois temps en utilisant, en sous-texte, notamment le modèle de Kübler Ross, appelé aussi les cinq étapes du deuil.

La psychiatre suisse Elisabeth Kübler Ross, dans son livre "Les derniers instants de la vie" en 1969, a en effet élaboré une théorie des phases terminales d'une maladie et des étapes psychologiques que traversent les patients en fin de vie. Cinq étapes qui sont: le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l'acceptation. Cinq étapes que va traverser le personnage de Bill Murray.

>> A écouter: l'émission "Travelling" consacrée au film :

"Un jour sans fin" ("Groundhog day") de Harold Ramis, 1993. [AFP - Columbia Pictures Corporation]AFP - Columbia Pictures Corporation
Travelling - Publié le 19 juillet 2023

Le personnage semble combiner la méchanceté à l'autocentrisme avec authenticité. Et Bill semble comprendre très bien ce personnage. Vous savez, il n'est pas une star de cinéma par accident. Il comprend la vanité et l'égocentrisme. Il est le gars parfait pour jouer ça.

Harold Ramis dans le making of du film

Chapitre 5
Bill, Andy, Chris et Scooter

AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION

Une fois le scénario terminé, les studios refusent de donner le feu vert au projet si les causes de la boucle temporelle ne sont pas explicitées. Les scénaristes sont atterrés. Les voilà obligés d'inventer des éléments d'explication. Le projet finit par passer. On justifiera d'une explosion du planning pour ne pas tourner ces scènes-là.

Autre problème: Bill Murray travaille directement avec Danny Rubin en évinçant Harold Ramis pour développer son personnage. Bill Murray veut se concentrer sur les éléments philosophiques du film alors que Harold Ramis tient à la comédie.

Une grogne sourde, une rancoeur s'installe entre les deux amis qui va perturber le tournage.

Harold Ramis et Bill Murray sont amis à la vie. Harold Ramis connaît bien les éclats de colère de Bill Murray sur les plateaux. Il sait que son ami a de la peine à se réveiller le matin. Il sait qu'il fait la gueule, qu'il râle. Mais il sait aussi qu'il est bon.

Bill Murray dans le film "Un jour sans fin" de Harold Ramis. [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]
Bill Murray dans le film "Un jour sans fin" de Harold Ramis. [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]

Le réalisateur souligne encore dans les notes de production du film: "Ceci dit, Bill est un homme et un acteur merveilleux. Quand il se sent prêt, il est vraiment bon. Mais parfois, on croirait travailler avec Van Gogh dans un de ses mauvais jours. Il a l'air si torturé par les exigences de sa création que vous avez l'impression qu'il va se couper l'oreille – ou la vôtre – d'une minute à l'autre! Il vit pleinement ce qu'il fait, son style est toujours fait de pure imagination et d'impulsivité. Lorsqu'il joue quelque chose qu'il ressent vraiment, c'est magique. Il va chercher au plus profond de lui-même ses sentiments, ses émotions et il les libère d'un seul coup. Ça donne quelque chose de fabuleux, mais ça doit être épuisant pour lui".

Bill Murray et la marmotte Scooter dans "Un jour sans fin". [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]
[AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]

Pour jouer Rita, dont Phil tombe amoureux, ce sera Andie MacDowell, mannequin et actrice en vogue dans les années 1990, après le succès de "Sexe, mensonges et vidéo", et de "Greystoke, la légende de Tarzan".

Quant au reste du casting, Stephen Tobolowsky est embauché pour le rôle de Ned Ryerson, le monsieur qui saute sur Bill Murray pour se rappeler à son bon souvenir. Chris Eliott est Larry, le caméraman. Et l'acteur le plus poilu du casting est une marmotte baptisée Scooter.

Scooter n'est pas la vraie marmotte de Punxsutawney. La mairie et la ville, déçues que la production ne vienne pas tourner chez elles, ont refusé qu'on utilise la vraie mascotte, Punxsutawney Bill (au lieu de Punxsutawney, le tournage se tient à Woodstock dans l'Illinois, au nord de Chicago).

Scooter a été capturée quelques semaines avant le tournage et n'est pas vraiment dressée. Elle mord d'ailleurs deux fois Bill Murray. L'histoire ne dit pas ce qu’elle est devenue après le tournage.

Chapitre 6
Un film comique et philosophique

AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION

Le tournage démarre le 16 mars 1992 et est assez difficile. Il s'achève dans les délais prévus le 10 juin 1992 à Chicago.

Le 12 février 1993, "Un jour sans fin" sort officiellement dans 1640 salles. Le succès est modeste. Le film arrive loin derrière "Sauvez Willy" sorti la même année.

En Europe et aux Etats-Unis, les critiques sont unanimes. Ils aiment le film, la prestation de Bill Murray, l'aspect comique et philosophique. Car dans le film, au-delà de la comédie et de la romance, il y a le parcours initiatique d'un homme.

C'est un film sur l'épanouissement personnel, la résilience, l'amitié, la considération des autres, la tolérance, les préjugés. Harold Ramis et Danny Rubin ont longuement discuté des aspects philosophiques et spirituels du film, mais ils voulaient, avant tout, raconter une bonne histoire, divertissante et sincère. Force est d'avouer que le film va dépasser leurs intentions premières. Chacune et chacun utilise le film à sa sauce et l'interprète à sa manière, certains allant même jusqu'à l'utiliser pour faire de la propagande religieuse.

Bill Murray dans le film "Un jour sans fin" de Harold Ramis. [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]
Bill Murray dans le film "Un jour sans fin" de Harold Ramis. [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]

"J'ai reçu des lettres émanant de bouddhistes, d'adeptes du yoga, de catholiques intégristes, s'attribuant la paternité philosophique du film et me prenant pour l'un des leurs", indique Harold Ramis.

Le film reçoit maintes récompenses. Il est inscrit au National Film Registry en 2006, et marque définitivement la fin de la collaboration entre Harold Ramis et Bill Murray débutée 20 ans plus tôt, ainsi que la fin de leur amitié.

L'affiche du film "Un jour sans fin". [AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]
[AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION]

Les années passant, "Un jour sans fin" devient un classique de la comédie américaine. L'expression "Groundhog Day", "le jour de la Marmotte" passe dans le langage courant et dans le dictionnaire. "Groundhog Day" signifie une situation désagréable et monotone qui se répète sans cesse.

Quant au vrai Jour de la marmotte, la cérémonie a toujours lieu les 2 février dans la ville de Punxsutawney. La ville de Woodstock a également créé son propre jour de la marmotte avec un autre animal prénommé Woodstock Willie. Chaque année, les deux villes sont prises d'assaut par les touristes et organisent des visites guidées sur les lieux du tournage.