Film de procès, pensé initialement comme une série, "Anatomie d'une chute" prend son temps (2h32) pour décortiquer méticuleusement les rapports de force et de domination au sein d'un couple d'artistes aisés.
Autrice de romans à succès, Sandra (Sandra Hüller, prodigieuse) vit avec son mari, Samuel, et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, dans une maison perdue en montagne, près de Grenoble. Le jour où Samuel est retrouvé mort en bas de la fenêtre de son bureau, dans ce qui paraît être un suicide, une enquête judiciaire est ouverte. Sandra est soupçonnée, puis inculpée.
Un an plus tard, le procès expose les zones d'ombre de Sandra et de Samuel alors que Daniel, l'enfant, assiste aux audiences en découvrant des vérités qu'on lui avait cachées jusque-là. La justice va disséquer la vie du couple dont les disputes étaient enregistrées par le mari.
Des rapports de forces
"Anatomie d'une chute", dont le scénario a été co-écrit par la réalisatrice et son compagnon, l'acteur et réalisateur Arthur Harari, repose sur une déconstruction cérébrale des mécanismes du couple et de la justice.
Au-delà de la reconstitution du drame, qui doit permettre de savoir s'il s'agit d'un meurtre ou d'un suicide, le film expose une multitude de rapports de force: le jeu entre les langues - l'allemand maternel du personnage principal, l'anglais pour communiquer et le français parlé au procès -, la séduction au sein du couple, la rivalité entre les partenaires quand l'un a plus de succès que l'autre...
Les scènes de procès sont centrales, portées par l'affrontement entre l'avocat général, joué par Antoine Reinartz, et l'avocat de l'accusée (Swann Arlaud).
Les failles d'un couple
Cinéaste auteure des excellents "La bataille de Solferino", "Victoria" ou encore "Sybil", Justine Triet creuse ici les failles, les béances, les mystères d'un couple, autopsiant les rapports ambigus qui ont amené cet homme et cette femme vers le drame. Jouant sur l'opacité des caractères, on ne sait jamais bien qui, du mari ou de l'épouse, exerce sur l'autre une autorité toxique.
La réalisatrice brouille les frontières poreuses entre les faits et les projections, la réalité et la fiction, posant, à travers le personnage le plus passionnant et bouleversant du film, le jeune Daniel, la question du pourquoi plutôt que du comment.
On reste tout de même un peu sceptique face aux libertés que s'accorde Justine Triet au sujet de ce qu'elle révèle au public, au jury du tribunal et à ses protagonistes, passant parfois d'un point de vue à l'autre sans réelle justification que celle d'une dramaturgie qui cherche un peu trop à combler les trous. Malgré tout, "Anatomie d'une chute" s'avère être un film fascinant qui mérite sa Palme d'or.
Rafael Wolf
Adaptation web: ld avec agences
"Anatomie d'une chute", de Justine Triet, avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner, Antoine Reinartz. A voir dans les salles romandes.