Sur la scène d’un théâtre parisien à moitié vide, Paul Rivière (Pio Marmaï) et Sophie Denis (Blanche Gardin) jouent sans peur du cabotinage une pièce de boulevard laborieuse, "Le cocu". Jusqu’au moment où l’un des spectateurs, un certain Yannick (Raphaël Quenard), se lève et interrompt la représentation.
Gardien de nuit à Melun, le jeune homme se plaint d’un spectacle qui le morfond au lieu de le divertir; une souffrance d’autant plus pénible qu’il a posé sa soirée et est venu de loin pour assister à la pièce. Moqué par Paul Rivière, Yannick revient muni d’une arme et prend en otage comédiens et public dans le but de réécrire la pièce selon ses propres désirs.
Une comédie géniale
Poussé par l’envie de retrouver la liberté de ses premiers longs métrages, Quentin Dupieux a profité de la préparation de son prochain film, "Daaaaaali!", pour tourner "Yannick" en six jours, avec un budget dérisoire, dans le huis clos d’un théâtre parisien. Là où d’autres auraient à peine réalisé un court métrage médiocre, le cinéaste du "Daim", de "Fumer fait tousser" ou de "Mandibules" signe une comédie géniale, jubilatoire, débarrassée de toute la pesanteur du système de production cinématographique.
S’éloignant des délires surréalistes qui caractérisent ses films antérieurs, Dupieux réussit un tour de force avec cette œuvre d’à peine 69 minutes, à la fois drôle, profonde, dérangeante, qui parvient régulièrement à éviter les pièges que son concept lui tendait.
D’un ordinateur dont le mot de passe trahit les tendances phallocrates d’un membre du public à un vieil habitué du théâtre engoncé dans ses conventions, en passant par Sophie Denis, prête à tout pour sauver sa peau, et Paul Rivière, comédien raté pétri d’autosuffisance et de mépris pour autrui, "Yannick" met à nu un petit théâtre de la vie qui, mine de rien, soulève de réelles questions politiques, sociétales et artistiques.
Un acteur sidérant
S’amusant du rapport entre l’art et le public (on peut se demander qui, de la pièce ou de Yannick, prend qui en otage), creusant la question du mépris de classe, Quentin Dupieux montre la scène de théâtre et la salle de spectacle comme un lieu social qui exclut. Prolétaire en marge de cette société parisienne qui puise dans sa culture une forme de supériorité, Yannick trouve, l’espace d’un instant, une existence au sein de ce monde qui l’invisibilise.
Le sujet n’est heureusement pas d’affirmer, en toute démagogie, que la pièce qu’il écrit maladroitement pour remplacer "Le cocu" est meilleure, et que l’art est l’affaire de tous et de n’importe qui. Ce qui compte est de voir, sur le visage de Yannick, une joie pour ainsi dire enfantine d’entendre des comédiens jouer ses mots sur scène, comme si, par le truchement du spectacle, il trouvait une raison d’être, une identité, une voix, tout simplement.
Et si Pio Marmaï et Blanche Gardin sont impeccables dans le duo de comédiens du "Cocu", on assiste surtout, sidéré, à la déflagration provoquée par Raphaël Quenard dans le rôle de Yannick. Un acteur capable de nous faire rire, de nous mettre mal à l’aise et de nous émouvoir, digne du talent prodigieux d’un Patrick Dewaere.
Rafael Wolf/olhor
“Yannick” de Quentin Dupieux, avec Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Blanche Gardin. A voir actuellement dans les salles romandes.