Un bus sillonne les rues de Paris, accompagné par la voix off d’un narrateur dont on ne connaîtra l’identité qu’en cours de récit. La caméra glisse sur les badauds avant d’accrocher, presque par hasard, une jeune femme, Lydia (Hafsia Herzi). La protagoniste de cette histoire, inspirée d’un fait divers, est donc introduite par cette entrée en matière surprenante qui perturbe le réalisme quasi documentaire de l’image avec cette voix off très littéraire, volontairement romanesque.
La suite du récit nous apprend que Lydia, en pleine rupture amoureuse, mène une existence solitaire et sans lendemain. Sage-femme investie, elle s’amourache de Milos (Alexis Manenti), un chauffeur de bus qui la quitte peu après leur rencontre. Parallèlement, sa meilleure amie, Salomé (Nina Meurisse), tombe enceinte et Lydia s’implique activement dans la grossesse, puis dans l’accouchement. Jusqu’à un instant de déraillement qui emporte la jeune femme dans une spirale de mensonges aux conséquences dramatiques.
Une héroïne abîmée dans sa fiction
Référence au "Ravissement de Lol V. Stein" de Marguerite Duras, le titre même du film peut se lire comme l’enlèvement, mais aussi l’extase amoureuse. Un double sens parfaitement en phase avec ce premier long métrage qui ne cesse de jouer, avec une maîtrise indéniable, sur l’ambiguïté, les paradoxes, les faux-semblants, à cheval entre le drame naturaliste et le thriller psychologique.
Interrogeant les notions de maternité, d’amitié, de confiance et de déni, "Le ravissement" dessine avec une réelle justesse le portrait d’une jeune femme qui trompe sa solitude et ses rêves frustrés dans une fiction qu’elle crée de toute pièce. C’est la part la plus captivante du film qui, au lieu de juger son héroïne, se laisse emporter par ce personnage, à la fois scénariste et réalisatrice de sa propre existence, comme si Iris Kaltenbäck thématisait directement le rapport trouble qui lie les spectateurs à la fiction.
Hafsia Herzi tout en subtilité
Evitant tout le pathos qu’un sujet aussi délicat, et douloureux, appelait, la cinéaste éclaire son personnage d’un point de vue fascinant. On est à la fois en prise directe avec le présent, avec la subjectivité de Lydia, et en léger recul, en phase avec le narrateur de l’histoire, plus distancié. A tel point qu’on en arrive à croire, à certains moments, que tout ce qui advient devant nos yeux est le produit d’un délire, d’un fantasme, d’un roman sans lien avec la réalité.
Encore fallait-il donner corps à cette Lydia qui bouscule passablement notre adhésion et nos a priori moraux. Portée par le silence et la douleur enfouie de son personnage, Hafsia Herzi parvient à restituer à merveille les zones d’ombre de Lydia, avançant avec subtilité sur une corde raide, entre l’empathie et le rejet que l’on éprouve à l’égard de celle qu’elle incarne à l’écran.
Rafael Wolf/aq
"Le ravissement" d’Iris Kaltenbäck, avec Hafsia Herzi, Nina Meurisse, Alexis Manenti. A voir actuellement dans les salles romandes.