Pour être honnête, on ne s'attendait à rien, sinon à une resucée réchauffée, avec ce retour tardif à l'univers "Hunger Games". La saga originelle à succès, en plus d'avoir fait de l'excellente Jennifer Lawrence une star internationale, se suffisait à elle-même et s'était conclue de manière idéale, renvoyant dos-à-dos, dans leur soif de pouvoir tout aussi morbide, le président tyrannique de Panem, Coriolanus Snow (Donald Sutherland), et la meneuse de la rébellion, Alma Coin (Julianne Moore).
Aux origines de Snow
En revenant aux origines de Coriolanus Snow, qui n'est encore qu'un étudiant ambitieux, quelque 64 ans avant les événements de la tétralogie initiale, "Hunger Games - La ballade du serpent et de l'oiseau chanteur" étonne pourtant par sa pertinence immédiate. Et nous ramène au lendemain d'une guerre dévastatrice qui a ravagé Panem et laissé les nantis du Capitole sur les genoux.
Dès lors, plusieurs jeunes issus des douze colonies sont choisis pour s’entretuer aux yeux de tous lors des 10e Hunger Games, jeux télévisés destinés à punir les districts qui s’étaient rebellés contre les dirigeants du pays.
A l’occasion de ces jeux-là, Coriolanus Snow (Peter Dinklage) accepte de devenir le mentor de l’une des participantes des Hunger Games: la frondeuse Lucy Gray (Rachel Zegler). Rapidement, il tombe sous le charme de sa protégée et contourne les règles pour lui assurer la victoire, avec des conséquences imprévues et fatales.
Une figure tragique
Dominé par les stratégies machiavéliques, la trahison et les tractations politiques, "Hunger Games - La ballade du serpent et de l'oiseau chanteur" développe des personnages consistants, une réelle complexité thématique et une vision du pouvoir où les futurs despotes nourrissent leurs ambitions de leurs failles les plus intimes.
Réduisant l'épais livre paru en 2020 au lieu de lui offrir deux volets séparés, comme ce fut le cas avec "Hunger Games - La révolte", le cinéaste Francis Lawrence impose une mise en scène solide tout en contenant la dimension spectaculaire d'un volet avant tout concentré sur les oppositions et les alliances entre ses personnages.
Héros passionnant de cette histoire, Coriolanus Snow fascine par son tiraillement entre sa cupidité, son désir de restituer à sa famille son statut social, son amour pour Lucy et sa soif de pouvoir. Une figure tragique, complexe, dont la dérive vers la tyrannie et la dictature rappelle à bien des égards le jeune Anakin Skywalker de la seconde trilogie "Star Wars". On est même en droit de trouver les paradoxes et l'écartèlement moral de Snow plus profonds que ceux du futur Dark Vador.
Des défauts, mais…
Certes, le film n'est pas exempt de gros défauts. En ramassant son récit sur une durée de deux heures trente, Lawrence procède à des ellipses brutales (la relation entre Snow et Lucy advient trop rapidement, les retrouvailles dans le District 12 semblent précipitées) même s'il prend le temps de creuser les scènes-clés de son histoire. Un peu comme si les perles de ce cinquième volet gardaient un éclat certain, mais avaient été montées à la hâte sur un collier bancal.
Et si le personnage de Corolianus Snow est indéniablement captivant, on ne pourra pas en dire autant de celui de Lucy Gray qui n'arrive pas à la cheville de Katniss Everdeen. Ses parties chantées, censées marquer des pics d'intensité émotionnelle, laissent dubitatif.
Reste qu'en dépit de ses nombreuses maladresses, "Hunger Games - La ballade du serpent et de l'oiseau chanteur" se hisse bien au-dessus du tout-venant des grosses productions hollywoodiennes récentes et réjouit par sa dimension férocement séditieuse, portrait cruel et glaçant d'un pays prêt à sacrifier ses enfants, traités comme des animaux en cage, pour asseoir son pouvoir totalitaire.
Rafael Wolf/aq
"Hunger Games - La ballade du serpent et de l’oiseau chanteur" de Francis Lawrence. Avec Tom Blyth, Peter Dinklage, Viola Davis, Rachel Zegler. Sorti le 15 novembre 2023 dans les salles romandes.