La mer, les collines, des champs de fleurs, un papa qui chuchote à l'oreille de sa fillette, une vieille femme qui retient ses larmes. Mais Darwazah est née en Jordanie et dans "My Love Awaits Me By the Sea", son premier long métrage documentaire, elle livre un récit très personnel et poétique de sa première rencontre avec son pays d'origine, la Palestine, et sa population. Pour la guider dans ce voyage, la cinéaste choisit les vers du poète palestinien Hasan Hourani.
Khaled Jarrar, lui, se laisse guider par Nadira dans son dernier documentaire intitulé "Notes On Displacement". La vieille femme d'origine palestinienne, réfugiée depuis l'âge de 12 ans, doit désormais fuir la guerre en Syrie avec sa famille. Le réalisateur né à Jénine, en Cisjordanie occupée, suit leur exode, éprouvant, vers l'Allemagne. Il filme, caméra au poing, une route de l'exil violente et déshumanisante. Les images remuent, au propre comme au figuré.
"Je filme, donc j'existe"
Si les univers artistiques de ces deux cinéastes palestiniens sont bien éloignés, filmer est pour tous les deux un besoin vital. Mais Darwazah affectionne particulièrement le titre du festival genevois: "Filmer, c'est exister". "Si je ne travaille pas, je deviens folle", confie-t-elle dans La Matinale du 30 novembre. La réalisatrice qui vit aujourd'hui en Egypte s'estime très chanceuse d'être une artiste pour pouvoir exprimer ses émotions et ses pensées.
"C'est ma réalité: je filme, donc j'existe, acquiesce Khaled Jarrar. Je suis ici, je parle, j'ai une voix avec mes films. Où j'ai grandi, il y a une occupation physique, une occupation mentale, il y a des traumatismes, de la peine. Mais les souvenirs et les histoires sont tellement importants".
L'art plus fort que l'armée
Avant d'être un artiste pluridisciplinaire reconnu, Khaled Jarrar a été soldat professionnel, garde du corps de Yasser Arafat, puis capitaine de la garde présidentielle. L'homme confesse avoir mis du temps à réconcilier ces deux "personnages" en lui. Du militaire, il lui reste aujourd'hui la carrure, fondue sous un style branché d'artiste new-yorkais et la conviction que l'art est plus puissant que l'armée.
"Je ne parle pas français ou allemand mais je parle l'art. Et les gens en Suisse peuvent comprendre mon art", se réjouit Khaled Jarrar, présent à Genève pour présenter deux documentaires. Le réalisateur constate qu'énormément de contenus artistiques palestiniens sont censurés sur les réseaux sociaux. C'est pour lui une preuve de la force de l'art.
"Les gens qui manifestent partout dans le monde, ça fait entendre notre voix, plus fort", estime pour sa part Darwazah, qui est persuadée que la voix des artistes palestiniens est au premier plan aujourd'hui et que ceux-ci doivent donc être prudents. "La responsabilité des artistes est de creuser plus profondément, au-delà du discours évident que l'on nous sert. Et c'est donc important que l'on continue à travailler".
Un rêve de couleurs
Pour les deux réalisateurs, il est trop tôt pour estimer dans quelle mesure le confit actuel entre le Hamas et Israël influencera leurs futures créations. "Je fais de mon mieux pour que le conflit n'affecte pas mon évolution artistique", confie Khaled Jarrar qui espère que cette guerre prendra fin un jour. "Je rêve d'un studio rempli de toiles et de couleurs, pour pouvoir juste peindre, de façon abstraite, esthétique. Je ne veux rien faire de plus que ça".
Julie Rausis/olhor
12e Rencontres du cinéma palestinien: "Filmer, c'est exister", au Grütli et au Spoutnik, Genève, du 29 novembre au 3 décembre 2023.