Documentaire choc, "Mon pire ennemi" met en scène les rapports entre bourreaux et victimes
Mojtaba, Hamzeh, Zar et d'autres ont subi des interrogatoires idéologiques en Iran, à différentes périodes de leur vie. Mehran Tamadon, le réalisateur de "Mon pire ennemi", leur demande de l'interroger, lui, tel que pourrait le faire un agent de la République islamique. Il aimerait ensuite que les vrais tortionnaires en Iran se voient à travers le film comme s'ils se regardaient dans un miroir.
L'expérience violente de se mettre réellement dans la tête du bourreau confronte les anciennes victimes à ce qu'elles sont prêtes à faire et aux limites du projet lui-même.
Dans le documentaire, l'actrice et réalisatrice Zar Amir Ebrahimi tient une place importante. Elle-même a subi en Iran des mois d'interrogatoires violents à l'âge de 27 ans, en 2008, isolée chez elle, suite à la publication d'une vidéo intime sur le net. Pour le film, l'actrice a replongé dans ses souvenirs et son expérience douloureuse. "C'est très difficile pour moi de regarder ce film, je ne m'y aime pas, je me déteste presque. En tant qu'actrice, mes traumas sont devenus au bout d'un moment mes outils de travail", explique-t-elle dans le 19h30 du 18 janvier.
Interrogatoire sans pitié
Le documentaire a été tourné durant trois jours, avec des plans non interrompus pendant deux heures. Zar Amir Ebrahimi avait préparé quelques questions et enquêté sur le réalisateur, mais aucun des dialogues du film n'avait été écrit à l'avance. Le parallèle entre l'omnipotence du réalisateur et de ce qu'il fait vivre à ses personnages pour arriver à ses fins est notamment interrogé sans relâche par l'actrice, qui s'est muée en inquisitrice sans pitié.
"Pendant la nuit, j'enfermais le réalisateur là où nous tournions, je rentrais chez moi, mais je ne pouvais pas dormir. Et tout la nuit, je me demandais: comment font les bourreaux? Est-ce qu'ils arrivent à vivre une vie normale? Est-ce que leurs traumas ne ressortent pas d'une façon ou d'une autre durant la journée? (...) Ce sont vraiment des questions profondes", indique Zar Amir Ebrahimi.
Ne pas baisser les bras
Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes en 2022 pour "Les nuits de Mashhad", film dans lequel elle joue une journaliste qui enquête sur des féminicides dans une ville iranienne, Zar Amir Ebrahimi a été happée comme d'autres artistes epar la mort de la jeune Mahsa Amini (décédée en détention en 2022 après avoir été interpellée par la police pour avoir mal porté le voile islamique) et se bat au côté du mouvement iranien "Femme, vie, liberté".
En été 2023, elle a présenté au festival de Locarno le film "Shayda", dans lequel elle incarne une jeune mère iranienne vivant en Australie qui se sépare d'un mari violent. Avec "Mon pire ennemi", de l'autre côté du miroir, l'actrice s'inspire de son propre vécu et garde l'espérance d'un changement à venir.
Le régime iranien nous a tout pris, sauf l'espoir.
"Ce régime nous a tout pris, sauf l'espoir. Il y a eu tellement de pression et d'oppression, spécialement pour les femmes, que personne ne peut les arrêter aujourd'hui. La nouvelle génération est tellement courageuse. (...) On ne peut plus isoler le peuple iranien du monde entier et tout cela me donne de l'espoir. Les femmes résistent, comme les hommes. (...) Mais je dis toujours que nous avons besoin du soutien du monde entier. Il faut bannir ce gouvernement", martèle cette actrice pour qui l'engagement est loin d'être un vain mot.
Propos recueillis par Philippe Revaz
Sujet TV: Chloé Steulet
Adaptation web: Melissa Härtel
"Mon pire ennemi" de Mehran Tamadon, avec Zar Amir Ebrahimi. A voir actuellement dans les salles romandes.