"Avant, il n'y avait rien", les retrouvailles ratées entre deux amis d'enfance juif et palestinien
Sa mère est née en Palestine avant de partir en exil forcé avec ses parents en 1948 quand elle n'avait qu'un an. Yvann Yagchi, quant à lui, est né à Genève. Pour son troisième long métrage, le réalisateur a décidé de partir en Cisjordanie, à la rencontre d'un ami d'enfance devenu colon juif sur des terres où lui, comme Palestinien, n'a pas le droit de vivre.
Ces premiers pas sur terre palestinienne mènent Yvann Yagchi dans une colonie en face de Bethléem. Il interroge son ami sur ses choix, ne cache pas leurs différends, rencontre les rabbins. Il exprime son ressentiment grandissant au fur et à mesure de ses visites. Les mots et la présence d'Yvann Yagchi dérangent trop. Son ami se retire du projet, c'est la rupture.
"Ce qui avait commencé comme une quête de dialogue est devenu une triste métaphore du 'conflit' israélo-palestinien: la communication s'est rompue et l'amitié a cessé d'exister", indique Yvann Yagchi sur le site des Rencontres cinématographiques Palestine, Filmer C'est Exister.
La cause? "Evidemment, la situation dans les territoires occupés palestiniens, ça c'est sûr. Mais j'ai aussi eu l'impression qu'on n'a pas reconnu mon identité, qu'on n'a pas voulu voir les Palestiniens, l'identité, l'histoire palestinienne", explique le réalisateur dans le 19h30 du 28 novembre. A défaut de belles retrouvailles, le cinéaste consacre alors son énergie à renouer avec sa propre histoire, sur les traces de son arrière-grand-père.
La résilience palestinienne
Son documentaire porte un titre doucement ironique, "Avant, il n'y avait rien", faisant écho à ce qu'il a entendu toute sa vie: qu'avant Israël, avant 1948, il n'y avait rien. "Ça m'a toujours touché. Après, j'ai découvert aussi que c'est une technique coloniale vieille comme le monde de dire que la terre que l'on va coloniser est vierge de tout être humain, de tout, pour justifier ses actions", indique Yvann Yagchi.
La Palestine, ce n'est pas un rêve. La Palestine existe. Moi, en tant que Palestinien de la diaspora, j'en ai souvent et longtemps rêvé
Alors que la mère du cinéaste lui a transmis sa culture, son identité et ses racines, elle ne veut plus entendre parler de la Palestine. "C'est un mécanisme de défense", souligne le cinéaste qui quant à lui, y croit encore: "La résilience est profondément palestinienne. Aujourd'hui, il y a un génocide à Gaza et Israël continue d'attaquer incessamment les symboles de la culture, de l'identité palestinienne".
Preuve de la résilience du cinéaste, sa porte est toujours ouverte, à Genève, pour son ami d'enfance. "Mais pour moi, la reconnaissance de l'existence de l'histoire palestinienne est nécessaire", conclut-il.
Propos recueillis par Philippe Revaz
Adaptation web: Lara Donnet
Les Rencontres cinématographiques Palestine, Filmer C'est Exister, Grütli, MEG, Spoutnik, Genève, du 29 novembre au 2 décembre 2024.
"Avant, il n'y avait rien" d'Yvann Yagchi, MEG, Genève, le 28 novembre 2024 à 21h. Puis à Espace Noir, Saint-Imier (BE), les 29 novembre et 1er décembre 2024; Le cinématographe, Lausanne (VD) et l'ABC, La Chaux-de-Fonds, le 1er décembre 2024.