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"Averroès & Rosa Parks", immersion dans un centre psychiatrique du centre de Paris

Une scène du film "Averroès & Rosa Parks" du réalisateur Nicolas Philibert. [DR]
L'invité : Nicolas Philibert "Averroès & Rosa Parks" / Vertigo / 29 min. / le 9 mai 2024
Après "Sur l'Adamant" l'an dernier, le cinéaste Nicolas Philibert a sorti le 8 mai le nouveau volet de sa trilogie sur le monde de la psychiatrie, "Averroès & Rosa Parks". Tourné dans un hôpital parisien, ce documentaire montre des entretiens entre patients et soignants dans toute leur intimité.

Le réalisateur français Nicolas Philibert est révélé au grand public en 2002 avec "Être et avoir", un film et documentaire sur la vie quotidienne d'une école à classe unique dans un petit village d'Auvergne. En 2023, il remporte un Ours d’Or à la Berlinale avec "Sur l’Adamant", le premier volet d'une trilogie de documentaires immergeant les spectateurs et spectatrices dans le monde de la psychiatrie en France. Au centre de ce film, l’Adamant, une péniche qui est un centre de jour situé dans le 2e arrondissement de Paris. L’endroit accueille des personnes souffrant de troubles psychiques.

Le deuxième volet de cette trilogie, "Averroès & Rosa Parks", porte le nom des deux unités de l'hôpital Esquirol, le pôle psychiatrique de Paris Centre. Si "Sur l’Adamant" faisait vivre le quotidien du lieu, à la fois original et rempli de créativité, ce deuxième volet gravite plutôt autour de l’âpreté et de la pénibilité du quotidien à l’hôpital. Nicolas Philibert y filme, en face à face, des entretiens plus longs entre les patients et le personnel soignant.

Donner la parole aux patientes et patients

 "J'ai un intérêt profond pour la façon dont la parole se déplie dans la durée, explique Nicolas Philibert dans l’émission Vertigo du 9 mai. La parole filmée, ce n’est pas seulement du contenu, c'est aussi comment elle est dite. Ce sont les gestes, les silences, les mimiques, les regards, les intonations, les accents, la façon d'occuper un espace pour les soignants, de soutenir les patients du regard. Au fond, il s’agit de faire remonter à la surface tout ce qu'une transcription écrite rend invisible."

Le souhait du réalisateur: offrir une voix à celles et ceux à qui l'on refuse de donner la parole. "Les patients en psychiatrie sont souvent des gens que la société cherche à écarter, à marginaliser, à rendre invisibles. Bien souvent, ils et elles sont des gens cultivés, remarquablement intelligents et lucides, notamment sur leurs propres troubles et leur souffrance […] Les cas de violence sont très rares, et lorsque c’est le cas, c’est plutôt de la violence envers eux-mêmes", précise Nicolas Philibert.

Le consentement important

Comment convaincre les patientes et patients de se laisser filmer lors des entretiens et s’assurer de leur consentement? "Cela n'a pas été plus compliqué que dans un contexte autre que la psychiatrie, répond le cinéaste. D'ailleurs, il y a toujours le droit de changer d'avis. […] J'ai souhaité m'adresser à des personnes qui me semblaient suffisamment lucides pour répondre pleinement, en toute conscience – quoiqu'il faille interroger cette idée de de pleine conscience – mais qui me semblaient capables de dire oui ou non à ma demande. À l’inverse, il y a des gens que je n’ai pas souhaité questionner parce qu’ils qui me paraissaient trop mal, si j'ose dire trop incohérents, ou qui étaient sous le coup des médicaments, etc."

Un réalisateur présent

Dans le documentaire, la présence de Nicolas Philibert est invisible au premier abord, mais ce dernier répond lorsque les protagonistes l’interpellent derrière sa caméra. Son existence se ressent également dans leurs regards. "Il est important pour moi de faire comprendre aux spectateurs et spectatrices qu'il y a quelqu'un derrière cette caméra. Je ne cherche pas à me faire oublier, mais à me faire accepter. Si l’on me parle, je réponds. Je dis souvent aux personnes que je filme: ‘faites comme si j’étais là’", conclut Nicolas Philibert.

Sujet radio: Anne Laure Gannac

Adaptation web: Myriam Semaani

"Averroès et Rosa Parks" de Nicolas Philibert. A voir dans les salles romandes depuis le 8 mai 2024.

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