Après un premier appel du monde culturel suisse fin octobre 2023 pour demander un cessez-le-feu à Gaza, un deuxième appel a été lancé en février. Il a déjà fédéré plus de 1000 signataires, dont les cinéastes Nicolas Wadimoff et Frédéric Baillif, les acteurs Jean-Luc Bideau et Carlos Leal, les musiciens et musiciennes Franz Treichler (Young Gods), KT Gorique et Julie Campiche, les humoristes Thomas Wiesel et Yann Marguet, ou encore les auteurs de BD Zep et Cosey. Le courrier sera envoyé au Conseil fédéral dans les prochains jours.
Pour le cinéaste romand Jacob Berger, l'un des instigateurs du projet, c'était un devoir de prendre la parole. En tant qu'artiste, mais pas seulement: "Je dirais aussi que c'est le devoir de chaque juif, ou de chaque personne d'origine juive comme moi, de le faire. Si chacun ne fait que défendre les gens qui lui ressemblent, alors on est juste dans le communautarisme", expose-t-il vendredi dans La Matinale.
Garder le silence, c'est être complice
Il se dit pourtant fondamentalement "ami d'Israël". "J'aime être dans ce pays, je m'y sens bien, j'ai beaucoup d'amis là-bas. Et je vois ce pays devenir un enfer moral, un pays où le crime s'est instillé absolument partout du fait de l'aveuglement communautariste", déplore-t-il. "Et nous sommes beaucoup de juifs ou de gens d'origine juive à dire ou penser cela. Les accusations d'antisémitisme sont complètement délirantes!"
Également signataire de l'appel, la cinéaste alémanique Stina Werenfels estime que garder le silence revient "à se rendre complice". "La guerre à Gaza a atteint des proportions inimaginables. On est en face d'une catastrophe humanitaire. Les enfants palestiniens meurent de faim. Le cessez-le-feu est nécessaire, également pour la survie et la libération des otages israéliens", rappelle-t-elle.
Pour elle, il est important de faire entendre les voix des juifs et des juives qui ne s'identifient pas à la politique israélienne. "Il faut savoir que dans le judaïsme, il y a toujours eu un très grand pluralisme d'opinions. Alors ce n'est pas légitime que la politique israélienne prétende parler au nom des juifs dans tout le monde, en particulier maintenant."
Défendre la fierté humanitaire de la Suisse
Très concrètement, ces artistes suisses exigent un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel à Gaza, le respect des Conventions de Genève, mais aussi la reprise du financement de l'UNRWA. Pour Jacob Berger, il en va aussi des intérêts de la Suisse humanitaire.
"Ce que la Suisse n'avait pas prévu, c'est que maintenant que l'UNRWA a été décrédibilisée, la prochaine cible de ces faucons américains et israéliens, c'est le CICR", le Comité international de la Croix-Rouge, estime-t-il.
Il rappelle notamment que certains sénateurs américains influents ont récemment attaqué le CICR et son nouveau directeur général Pierre Krahenbühl, lui-même ancien patron de l'UNRWA. "On attend du gouvernement suisse qu'il défende ces organisations humanitaires qui sont l'honneur de la Suisse dans le monde", fustige le cinéaste.
Positions contrastées à Berne
Interrogé par la RTS, le Département fédéral des affaires étrangères indique que "la Suisse soutient la mise en place d'un cessez-le-feu humanitaire et qu'elle n'a eu cesse d'appeler les parties au respect du droit international humanitaire". En ce qui concerne l'UNWRA, il reconnaît "qu'il s'agit du plus grand acteur humanitaire à Gaza" mais attend que l'enquête de l'ONU fasse la lumière sur les "graves allégations à l'encontre d'employés de l'agence".
Côté législatif, les parlementaires disent tous et toutes souhaiter un apaisement dans la région. La gauche partage même toutes les requêtes des signataires. Les conseillers nationaux verts Nicolas Walder (GE) et Christophe Clivaz (NE) ont d'ailleurs interpelé le Conseil fédéral sur ces sujets.
À droite, le PLR attend les résultats de la consultation des Commissions de politique extérieure pour se prononcer sur le financement de l'UNWRA. Le Centre, quant à lui, n'a pas fourni de réponse.
L'UDC, elle, estime qu'Israël est un "Etat démocratique qui protège ses citoyens" contre une "organisation terroriste", mais souhaite des "négociations" entre les deux parties pour un cessez-le-feu. Selon elle, Israël exerce toujours "son droit à l'autodéfense".
La question palestinienne n'a pas fini de faire des vagues dans le monde politique et culturel. Elle pourrait d'ailleurs émerger vendredi soir lors de la cérémonie des Quartz, les Prix du cinéma suisse (voir encadré).
Pauline Rappaz/jop
Des réalisateurs mis sous pression après leurs propos pro-palestiniens
La guerre à Gaza a déjà été évoquée à la Berlinale et aux Oscars. Mais ces prises de parole ne sont pas sans risques pour les cinéastes et leurs acteurs.
Lors de sa remise de prix à la cérémonie des Oscars pour "La zone d'intérêt", le réalisateur juif britannique Jonathan Glazer avait dénoncé la "déshumanisation" ambiante qui frappait tant les victimes israéliennes que palestiniennes. Des déclarations vivement critiquées par des organisations pro-israéliennes aux Etats-Unis.
>> Lire à ce sujet : "La zone d'intérêt", film choc et glaçant sur l'abomination de la Shoah
Lors de la cérémonie de clôture de la Berlinale, le réalisateur israélien Yuval Abraham avait quant à lui estimé que la "situation d'apartheid" devait cesser au Proche-Orient. Cet extrait a été repris par une chaîne israélienne qui a qualifié le réalisateur d'antisémite. "Depuis, je reçois des menaces de mort", a-t-il ensuite expliqué sur X.
Son documentaire No Other Land, tourné en Cisjordanie par un collectif israélo-palestinien, a remporté le prix du meilleur documentaire et le prix du public dans la section Panorama.
L'un des coréalisateurs, le Palestinien Basel Adra, avait dénoncé le "massacre" de la population palestinienne et fustigé notamment la vente d'armes allemandes à Israël. Leurs propos ont été qualifiés d'antisémites et d'"inacceptables" par le maire de Berlin et les autorités allemandes, soutien inconditionnel d'Israël depuis le 7 octobre.