Christine Angot évoque l'inceste dont elle a été victime dans un documentaire bouleversant

Christine Angot a décidé de raconter en images la terrible histoire de sa vie. Depuis trente ans, l'inceste traverse en pointillé l'oeuvre littéraire de l'écrivaine française multiprimée, figure majeure de l'autofiction. L'autrice l'effleure dès son premier roman, "Vu du ciel" (1990), puis dans son premier grand succès "L'inceste" (1999), l'évoque dans "Un amour impossible" (2015) et en parle de manière chirurgicale dans "Le voyage dans l'est" (2021).

Aujourd'hui, c'est dans un documentaire coup de poing intitulé "Une famille" que Christine Angot, réalisatrice, décide d'aborder de manière frontale les viols que son père lui a fait subir de ses 13 à ses 28 ans. "Au cinéma, l'image, on la voit tous en même temps, donc il y a quelque chose de l'ordre de la preuve. Tout le monde voit la même chose ensemble", déclare Christine Angot dans le 19h30 du 16 avril. "En revanche, au cinéma, vous ne pouvez pas filmer l'inceste, alors qu'en littérature, vous pouvez le montrer, parce que les mots montrent", précise-t-elle encore dans l'émission Vertigo du 19 avril.

Un documentaire radical

En 2021, Christine Angot est en tournée promotionnelle pour son nouveau livre, "Le voyage dans l'est". Elle est invitée à Strasbourg, ville dans laquelle elle rencontre son père lorsqu'elle a 13 ans. La ville où il commence à la violer, jusqu'à ses 16 ans et des années plus tard encore. Strasbourg, ville où la femme de son père et ses enfants vivent toujours. "Ce n'est pas la première fois que j'y retourne. Mais là, avec ce livre-là, ça me paraît un petit peu plus compliqué. Dans ce livre, 'Le voyage dans l'est', la voix est telle quelle. Je n'étais jamais parvenue à cette exactitude-là", indique l'écrivaine dans l'émission Vertigo.

Inquiète de son passage à Strasbourg avec ce livre, elle se fait accompagner par deux amis et une caméra: "Je me dis que comme ça, il y aurait quelqu'un qui verrait la même chose que moi d'une part, et qu'en plus, il y aurait une caméra qui enregistrerait". Accompagnée de cette caméra, Christine Angot décide d'aller sonner à la porte de la femme de son père, décédé en 1999.

"Je vais sonner à un moment où je ne me sens pas capable de sonner à cette porte. Je le fais au moment où je vois que la personne qui tient la caméra filme les sonnettes. A ce moment-là, mon doigt appuie sur la sonnette. Comme si c'était la caméra qui me permet de faire cette chose que je me pensais incapable de faire", raconte Christine Angot. L'écrivaine met, littéralement, le pied dans la porte de cette femme et c'est cet acte fort et spontané qui a donné naissance à ce film fait de témoignages et d'archives.

>> A écouter, l'entretien avec Christine Angot à propos de son film "Une famille" :

AFP - Stéphane de Sakutin

Libérer la parole

"L'inceste blesse infiniment les gens auprès de qui il est commis, ça les humilie", souligne Christine Angot. L'inceste dont elle a été victime n'atteint pas que son histoire familiale, mais bien au-delà, avec une dimension sociétale, "et même sociale. C'est la société dans son ensemble et son fonctionnement, et comment elle considère la puissance: la puissance sociale, que ce soit une puissance de culture, d'argent, artistique, on s'incline. On donne de l'admiration et celui à qui on la donne, on lui donne un pouvoir dont il peut abuser. Il y a là quelque chose de l'ordre de la fascination du pouvoir qui trahit la société elle-même".

Dans "Une famille", l'autrice donne la parole à celles et ceux qui ont traversé son histoire: son ex-mari, sa mère, sa fille et sa belle-mère, femme de feu son père. Les scènes sont émouvantes, parfois violentes. "Une famille" montre l'innommable et la difficulté, voire l'incapacité pour les proches de libérer la parole. Mais aussi la solitude de Christine Angot que seule Léonore, sa fille, réussit à rompre. Un documentaire radical, puissant et bouleversant.

>> Revoir le débat d'Infrarouge consacré à l'inceste :

Propos recueillis par Julie Evard et Anne Laure Gannac

Adaptation web: Lara Donnet

Festival Visions du réel, Nyon (VD), du 12 au 21 avril 2024.

"Une famille" de Christine Angot, à voir dans les salles romandes depuis le 17 avril 2024.