Né en 1937, Claude Lelouch a vécu de plein fouet l'occupation allemande. Menacé de déportation par la Gestapo parce que juif, il doit alors se faire très discret. C'est là que sa mère trouve le refuge idéal.
"Ma mère me cachait dans les salles de cinéma de Nice. C'est le seul endroit où je pouvais rester pendant des heures sans bouger. Toute l'Occupation, je l'ai passée là (...) Ma mère me confiait à une ouvreuse à deux heures de l'après-midi, lui donnait un petit pourboire et puis je restais trois séances de suite", se remémore-t-il.
Les gens qui sont sur l'écran, ce sont les mêmes que ceux qui sont dans la rue, mais en plus beaux, en plus courageux, en plus intelligents
Une expérience inédite qui a formé l'imaginaire de celui qui deviendra plus tard réalisateur. "Très vite, je me suis dit que les gens qui sont sur l'écran, ce sont les mêmes que ceux qui sont dans la rue, mais en plus beaux, en plus courageux, en plus intelligents. Je me suis dit que c'étaient ces gens-là que j'avais envie de fréquenter et très vite j'ai compris que le cinéma était mieux que la vie. J'ai donc essayé d'en faire mon métier", décrit-il.
Les comédiens, "des athlètes de haut niveau"
Claude Lelouch réussira bel et bien à en faire son métier. Après avoir été reporter, il commence à réaliser les premiers clips de l'époque, sans rencontrer le succès. Il se tourne alors vers son amour d'enfance, le cinéma. En 1966, il explose les codes cinématographiques avec "Un homme et une femme". Il décroche au passage une Palme d'Or, un Golden Globe et deux Oscars.
Depuis, en près de 60 ans de carrière et plus de cinquante films, le réalisateur s'est essayé à tous les genres: la comédie, avec "L'aventure, c'est l'aventure", les folies ésotériques avec "La Belle Histoire" et, bien sûr, les histoires d'amour avec "La Bonne année" ou plus récemment "Un plus une".
Derrière sa caméra, Claude Lelouch filme alors certains duos d'acteurs qui deviendront mythiques: Anouck Aimée et Jean-Louis Trintignant, Jean-Paul Belmondo et Richard Anconina par exemple.
Questionné pour savoir quel était son secret pour magnifier ces comédiens, le réalisateur estime qu'on "ne dirige pas les grands acteurs" mais qu'on peut les doser, afin d'éviter les sorties de route. "Un metteur en scène sans acteur n'est pas grand-chose. Moi, je suis là pour qu'il n'y ait pas d'accident", explique-t-il.
Et d'ajouter: "C'est vrai qu'avec mon amour des comédiens, je les ai tous considérés comme des athlètes de haut niveau et j'ai eu envie qu'ils battent un certain nombre de records dans mes films (...) Je leur ai donc demandé d'être un petit peu plus vrai que d'habitude, de jouer un peu moins, qu'ils soient spontanés."
"J'aime la vie avec ses contradictions"
Cette spontanéité, Claude Lelouch la recherche en permanence car il est à la recherche du réel. "Je suis un reporter de mon temps. Tous mes personnages, je les ai croisés. Les dialogues de mes films, je les ai entendus. J'ai été un observateur attentif. J'aime la vie, avec ses contradictions, ses beautés, ses horreurs aussi. J'ai très vite compris que tout ça était utile, que tout avait un sens", déclare-t-il.
J'ai connu une époque où les gens pleuraient, maintenant ils pleurnichent. J'ai connu une époque où ils riaient, maintenant ils ricanent
La musique de ses films est un autre élément très caractéristique de la filmographie du réalisateur français. Pour Claude Lelouch, elle est un personnage à part entière.
"C'est la musique qui parle le mieux à notre part d'irrationnel. Le scénario parle à la part du rationnel et nous dit qu'on est mortel. La musique, elle, nous dit qu'on est là pour toujours, c'est un peu le langage de Dieu", estime-t-il.
"On a les outils pour fabriquer un monde nouveau"
Interrogé enfin sur l'actualité et notamment le retour de la violence et le regain d'antisémitisme, le cinéaste refuse d'y voir une situation désespérée.
"J'ai connu une époque où les gens pleuraient, maintenant ils pleurnichent. J'ai connu une époque où ils riaient, maintenant ils ricanent (...) J'ai connu les déportations, j'ai vu les gens partir et ne pas revenir. J'ai vu vraiment le malheur de près (...) Tout ce qui n'est pas la guerre, c'est doux", juge-t-il.
Claude Lelouch voit donc l'époque actuelle comme "merveilleuse" en comparaison. "On a tous les outils pour fabriquer un monde nouveau et tous les outils aussi pour précipiter la fin du monde, c'est vrai. Mais nous sommes des enfants pourris gâtés", conclut-il.
Propos recueillis par Philippe Revaz
Adaptation web: Tristan Hertig