Horreur et religion ont toujours fait bon ménage. De "L'exorciste" au récent "Immaculée", en passant par "La malédiction" et autres "La nonne", le cinéma, art de la croyance par excellence, s'est logiquement amusé à interroger les fondements de la foi. Nouvel exemple avec "Heretic", production A24 qui nous emmène dans une petite ville du Colorado encerclée de montagnes.
Après une journée infructueuse, deux jeunes missionnaires de l'église mormone, Sœur Barnes (Sophie Thatcher) et Sœur Paxton (Chloe East), sonnent à la porte d'un certain Mr. Reed (Hugh Grant). Le sexagénaire affable convie le duo à entrer, les rassurant en prétextant que son épouse est en train de cuisiner une tarte aux myrtilles. Prudentes, les demoiselles acceptent et découvrent une demeure sombre, presque sans fenêtres.
Le théologien commence alors à les interroger sur les fondements de leur foi avant de démontrer, avec une érudition totale, que les monothéismes et leur ersatz, tout comme les mythes antérieurs, répètent les mêmes motifs dans une sorte de variation ne visant qu'à un seul but: le contrôle. Quant à l'épouse, comme la tarte aux myrtilles, vous vous en doutez, ce ne sont que des leurres.
Un huis clos psychologique
Huis clos à la fois géographique et psychologique particulièrement anxiogène, soutenu par une mise en scène précise qui épouse le caractère de plus en plus claustrophobe du film, "Heretic" pose une première partie fascinante, préférant aux effets de terreur faciles une tension progressive, un malaise croissant qui s'appuient intégralement sur l'art de la rhétorique, le discours, le langage.
L'attaque frontale des religions entamée par Mr. Reed se double d'un questionnement sur le plagiat, notamment par la chanson "Creep" de Radiohead, mais aussi par le jeu du Monopoly, qui tend à souligner que tout système de croyance est basé sur une manipulation, du pur marketing, du capitalisme en somme.
L'idée géniale des cinéastes Scott Beck et Bryan Woods (auteurs du nanardesque "65 - La Terre d'avant") est d'avoir fait appel à Hugh Grant, à qui l'on donnerait le bon Dieu sans confession. Incarnant avec une jubilatoire savoureuse ce Mr. Reed qui oscille entre la courtoisie charmante et le sadisme authentique, la star de "Notting Hill" met toute la sympathie qu'inspire sa personne au service d'un sexagénaire diabolique qui prétend dénoncer le sexisme, l'hypocrisie de la religion et de ses charlatans. Tout en exerçant lui-même une domination patriarcale sur les femmes qui ont le malheur de se retrouver dans sa forteresse. Face à lui, Sophie Thatcher et Chloe East parviennent à faire exister deux jeunes sœurs qui se révèlent bien plus complexes que prévu.
Le rêve du papillon
Clairement sous influence du "Silence des agneaux", les deux sœurs et Mr. Reed rejouant sur un mode ludique et religieux la confrontation entre Hannibal Lecter et Clarice Starling, "Heretic" adopte par la suite une direction moins convaincante, emmenant ses personnages dans les sous-sols de la maison pour un test biscornu autour des notions de miracle et de résurrection. Plus proche du film d’horreur lambda, le film dilue dès lors son intérêt initial dans une série de rebondissements plus artificiels que réellement signifiants.
On aurait aimé que le film tienne les promesses de ses prémisses et aille jusqu'au bout du potentiel subversif de son sujet, qu'il tire encore plus loin la joute intellectuelle entre Mr. Reed et ses deux invitées récalcitrantes, en l'état plus proche du monologue que du duel verbal.
Reste que l'ambiguïté troublante de "Heretic" se prolonge bien après son ultime image, image qu'il faut rattacher à ce "Rêve du papillon" évoqué par Mr. Reed, parabole chinoise dans laquelle un homme se demande s'il rêve d'être un papillon ou s'il est un papillon rêvant d'être un homme. Une fin ouverte, autorisant de multiples interprétations, qui clôt ce film diablement tordu, bien au-dessus de la moyenne.
Rafael Wolf/sc
"Heretic" de Scott Beck et Bryan Woods, avec Hugh Grant, Sophie Thatcher, Chloe East. A voir dans les salles romandes depuis le 27 novembre 2024.