Le cinéaste Jacques Audiard a enthousiasmé la Croisette en mai dernier. "Emilia Pérez" y a reçu le Prix du jury et le Prix d'interprétation féminine pour ses quatre actrices Zoe Saldaña, Adriana Paz, Selena Gomez, et Karla Sofía Gascón. Il faut dire qu' "Emilia Perez" est l’un de ces films rares qui ose tout et touche au sublime, déambulant avec virtuosité au-dessus d’un gouffre de ridicule dans lequel il ne tombe jamais.
L’histoire démarre au Mexique. Là, Rita (Zoe Saldaña) brade ses talents d’avocate pour un cabinet cynique qui vient de blanchir l’auteur d’un féminicide déguisé en suicide. C’est alors qu’un coup de fil mystérieux l’amène devant Manitas, massif chef de cartel qui lui propose une forte somme d’argent en échange d’une mission insolite: l’aider à devenir la femme qu’il a toujours rêvé d’être.
La mission est accomplie, Manitas feint sa mort et devient Emilia Perez. Son épouse, jouée par Selena Gomez, et ses deux enfants sont exilés en Suisse. Quatre ans plus tard, Emilia refait surface et demande à Rita de ramener sa famille auprès d’elle, sous l’identité d’une tante ayant hérité de Manitas. Les deux femmes se lient d’amitié et créent une ONG destinée à retrouver les victimes des narcotrafiquants, comme si Emilia tentait de réparer les horreurs commises par Manitas.
Un film aussi imprévisible que fascinant
Sur cette trame improbable ponctuée de numéros de comédie musicale d’une modernité et d’une énergie ébouriffante, "Emilia Perez" pose au cœur de son récit l’idée de changement, de genre, de sexe, de vie, et questionne une sororité qui s’oppose à la violence des hommes.
Mêlant film de gangsters, soap opera, romance, mélodrame familial, le résultat change lui-même sans cesse de direction, aussi imprévisible que fascinant. Le tout accompagné par une bande originale composée par Camille et Clément Ducol, digne d’un opéra aux accents de folklore mexicain, de hip-hop urbain et de musique classique.
Karla Sofia Gascon, époustouflante
A ce stade, s’il faut souligner les performances impressionnantes de Zoé Saldana et de Selena Gomez, la bombe du film s’appelle Karla Sofia Gascon. Ex-acteur espagnol qui a fait sa transition il y a six ans, elle incarne à l’écran un personnage crédible, réel et bouleversant, essentiel à la réussite majeure d'"Emilia Perez".
L’aspect documentaire lié à son interprétation contraste par ailleurs magnifiquement avec l’artifice global du film qui reproduit les rues de Mexico, de Lausanne et de Londres dans un studio parisien.
En parvenant encore une fois à réinventer son propre cinéma, à l’aune de sujets sociaux ultra-contemporains qu’il aborde plus avec humanisme qu’avec militantisme, Jacques Audiard signe un grand film trans, dans tous les sens du terme, qui transforme même un baron de la drogue en sainte madone.
Rafael Wolf/sf
"Emilia Perez" de Jacques Audiard, avec Zoë Saldaña, Adriana Paz, Selena Gomez, et Karla Sofía Gascón