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"L'empire" de Bruno Dumont, une farce délirante sur la lutte entre le bien et le mal

L'affiche de "L'Empire" de Bruno Dumont.
L'affiche de "L'Empire" de Bruno Dumont.
Présenté comme une "Guerre des étoiles chez les Ch'tis", "L'empire" de Bruno Dumont est à voir depuis le 17 juillet au cinéma. Dans cette comédie dramatique, le réalisateur français continue de parler de la lutte du bien contre le mal, une thématique qu'il explore depuis toujours.

Sur terre, le bien et le mal ont pris possession des corps humains. Les forces en présence peaufinent leurs plans en vue de la bataille finale. Les chefs d’armées opposées observent le déroulé des opérations depuis l’espace dans leurs immenses vaisseaux en forme de cathédrales d’Amiens imposantes. Alors que le gothique majestueux surplombe le plouc minable, l’enjeu pour Belzébuth est de maintenir en vie son fils Freddy afin que son camp triomphe. Mais comme le mal est déjà bien ancré en chacun des humains, peut-être qu’une invasion sur Terre en vue d’une guerre totale contre les forces du bien ne sera pas nécessaire.

De son côté, la Reine galactique s’offre une balade sur cette côte d’Opale, histoire de rencontrer ces humains si étranges, mais si attachants. Leurs problèmes d’évacuations d’eaux usées sont si éloignés des véritables enjeux qui agitent l’univers qu’elle fini par les trouver cocasses. Elle est guidée par un ange, une jeune fille attirée par un démon au point de forniquer avec lui.

Une frontière floue entre le bien et le mal

Contrairement aux apparences, "L'empire" n’a rien d’une vulgaire comédie. Le film explore en effet les frontières entre le bien et le mal, souvent floues. Ici, les deux se mélangent à qui mieux mieux lors de saillies bestiales en pleine nature, comme si le désir amoureux et les pulsions sexuelles étaient la seule réponse au chaos. Les démons ne pensent qu’à baiser, montrer leurs fesses et se bagarrer. Les anges rêvent de leur mettre la pâtée, mais peinent à lutter contre le pouvoir si attractif du mal.

Bruno Dumont ("Ma loute", 2016) aime la science-fiction, mais ne s’était jamais aventuré si loin dans la représentation du fantastique à l’écran. À grand renfort de CGI, des images générées par ordinateurs, il matérialise des vaisseaux et créé des plans qui donnent largement le change à ceux tout aussi superbes filmés dans la Côte d’Opale avec ses dunes, ses champs, son village de pêcheur et cette mer qui s’étend à l’infini.

Philosophie et comique

Dans ce film, le réalisateur français met en scène une théorie déjà largement évoquée dans sa série "CoinCoin et les Z'inhumains". Alors que d’énormes flaques de caca tombaient du ciel, peut-être les excréments d’extra-terrestres, les inoubliables gendarmes Carpentier et son commandant ne cessaient de répéter que l’Apocalypse était en marche. Voilà donc cette idée développée dans cette proposition réjouissante.

Mais pour apprécier le spectacle, mieux vaut être acquis au cinéma exigeant de Bruno Dumont qui multiplie les plans fixes et très larges où se perdent des personnages minuscules dans d’immenses décors naturels. Fidèle à ses habitudes, Bruno Dumont invite à la contemplation en imposant un rythme volontairement lent. Depuis le virage opéré sur "Ma Loute" (2016), il poursuit ses explorations philosophiques dans une veine comique.

Un délire surréaliste

Un irrésistible burlesque naît d’une cohabitation savamment orchestrée entre des dialogues creux et mal récités par des amateurs et quelques cabotinages de certains comédiens de métier. Pour Bruno Dumont, la comédie passe par ce genre d’accidents volontaires, mais aussi par d’autres stratagèmes comme l’exagération de chants d’oiseaux invisibles sur la bande son. Impossible de ne pas exploser de rire non plus lorsque des formes extraterrestres tiennent leurs propos incompréhensibles.

Ce délire surréaliste, fascinant tableau ne plaira pas à tout le monde, malgré la présence de Fabrice Luchini, Camille Cottin, Lyna Khoudri ou Anamaria Vartolomei. Des dents vont grincer, des voix s’élever pour crier au film misogyne et au racisme de classe. Erreur! Bruno Dumont n’est pas ainsi, contrairement à l’humain contaminé par le mal et qui ne mérite pas d’être sauvé décrit dans "L'empire". Un dialogue l’expose clairement: l’homme est nul selon les démons et pas top selon les anges. Le film lui est remarquable.

Philippe Congiusti/ms

"L'empire" de Bruno Dumont, avec Fabrice Luchini, Camille Cottin, Lyna Khoudri et Anamaria Vartolomei. A voir dès le 17 juillet 2024 dans les salles romandes.

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