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"La salle des profs" d'Ilker Çatak secoue le système éducatif allemand

Leonie Benesch dans le rôle de Carla Nowak dans le film "La salle des profs" d'Ilker Çatak. [Sony Pictures Classics - Judith Kaufmann]
Débat cinéma autour du film "La salle des profs" d'Ilker Çatak / Vertigo / 4 min. / le 7 février 2024
Confrontée à une série de vols au sein de son collège, une enseignante cherche à débusquer les vrais coupables dans un cadre scolaire dominé par la suspicion et la délation. A voir depuis le 7 février, "La salle des profs" d'Ilker Çatak est un formidable drame social, aussi intense qu’un thriller.

Les films sur le milieu scolaire, c’est un genre en soi. On ne compte plus les longs métrages français situés dans l’enceinte de lycées, symboles de l’état plus ou moins délétère des valeurs républicaines. Récemment, "Un métier sérieux", auquel on pourra ajouter "Entre les murs", "La lutte des classes", "Ça commence aujourd’hui", "Être et avoir" et bien d’autres.

Sans vouloir ranimer les vieilles querelles franco-allemandes, on avoue notre soulagement à voir enfin un film hors de l'Hexagone poser un regard neuf sur cette question. D’autant plus que "La salle des profs" réalisé par Ilker Çatak emprunte une voie moins balisée, où il ne s’agit pas tant de pointer les problèmes entre profs et élèves que d’épingler un système de suspicion et de délation généralisé.

L’ombre d’un doute

Le récit démarre avec une série de larcins qui touche une école allemande. Pratiquant une politique de tolérance zéro, l’établissement autorise sa directrice à interroger deux élèves, poussés à dénoncer d’autres camarades. Carla Nowak (exceptionnelle Leonie Benesch) assiste à la scène, impuissante.

Professeur de mathématiques et d’éducation physique, elle réprouve les méthodes employées. Mais lorsque la webcam de son ordinateur saisit une personne en train de voler son portefeuille dans sa veste, alors qu’elle s’est absentée, Carla soupçonne la secrétaire du collège et la confronte. Cette dernière nie farouchement et l’affaire prend une proportion qui échappe au contrôle de Carla, bientôt seule contre ses collègues, les parents et les élèves.

>> A voir, le débat cinéma de Vertigo consacré au film "La salle des profs" :

Le débat cinéma: "La salle des profs" d'Ilker Çatak
Le débat cinéma: "La salle des profs" d'Ilker Çatak / Vertigo / 4 min. / le 8 février 2024

Digne d’un thriller paranoïaque

Maîtrisant avec brio le crescendo dramaturgique de son film, le cinéaste Ilker Çatak adopte une mise scène qui joue autant du sentiment d’urgence, accentué par une caméra à l’épaule soudée à l’héroïne, que d’un resserrement de l’espace et du cadre même (en format carré). En résultent une sensation d’étouffement et de malaise assez inouïe ainsi qu’une tension digne d’un thriller paranoïaque.

L’école, sa salle des professeurs, ses couloirs, ses toilettes et ses classes deviennent ici un labyrinthe carcéral où s’incarnent des problématiques sociales bien plus larges que l’éducation. Le film brasse des questions épineuses qui touchent autant à la justice, à la diffamation, à la surveillance et à l’exclusion, s’achevant sur une résolution ouverte et formidablement ambiguë.

Preuve ou supposition

Il faut dire que  "La salle des profs" ne cherche pas à démontrer, mais à susciter le doute. Lors de l’un de ses cours de mathématiques, Carla tente de faire comprendre à ses élèves la différence entre une preuve et une supposition. Ce qui s’applique aux sciences de façon évidente apparaît bien plus nébuleux dès lors qu’il s’agit d’êtres humains, la vérité restant sans cesse camouflée derrière les allégations.

Nommé à l’Oscar du meilleur film international, "La salle des profs" renvoie l’image glaçante, inquiétante, d’une société plus prompte à la défiance et à la dénonciation qu’à la tempérance et à la conciliation. Une réussite remarquable.

Rafael Wolf/aq

"La salle des profs" ("Das Lehrerzimmer") d'Ilker Çatak, avec Leonie Benesch, Michael Klammer, Rafael Stachowiak. A voir dans les salles romandes depuis le 7 février 2024.

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