C'est peu dire qu'on attendait le dernier film de Coppola, annoncé à tort ou à raison comme son film testamentaire, avec un mélange d'excitation et d'appréhension. Une fresque colossale de près de 120 millions de dollars que le cinéaste a rêvée pendant des décennies avant de la produire avec ses propres deniers. Le résultat, désigné comme une fable, gagne clairement à être vu comme une farce. Et ceci dit sans aucun sarcasme.
C'est donc à New Rome, version futuriste de New York mâtinée de références antiques, que se déroule ce récit dystopique et décadent. Là, Cesar Catilina (Adam Driver), un architecte visionnaire qui a découvert une matière censée être inusable et éternelle, s'oppose à Ciceron (Giancarlo Esposito), le maire conservateur de la ville, pour reconstruire la cité sur des bases plus durables. De son côté, la fille du maire, Julia (Nathalie Emmanuel), jet-setteuse en apparence superficielle, tombe amoureuse de Cesar qui la détourne des valeurs rétrogrades de son père.
Aussi généreux qu'indigeste
Narré par la voix récurrente de l'assistant personnel de Cesar (Laurence Fishburne), "Megalopolis" s'affirme comme une allégorie de l'Amérique moderne. Un cirque pathétique, ballet grotesque où Coppola jongle avec la politique, les médias, la finance, la mode et l'art. Le tout concassé dans un mille-feuille aussi généreux qu'indigeste qui passe, sans crier gare, du sublime au navrant, du génial au plombant, marchant constamment au-dessus du vide.
Si l'on peut être admiratif de l'inventivité ébouriffante du film, sorte de patchwork XXL des précédents longs métrages de Coppola, si l'on peut être transporté par certaines séquences vertigineuses (notamment les scènes où Cesar influe sur le temps comme sur une matière organique), si la dimension purement cinématographique épate, on reste bien plus sceptique devant la lourdeur pachydermique avec laquelle le cinéaste assène son propos, sa morale et sa vision somme toute très conservatrice de l'avenir de l'humanité.
Un hymne bancal au genre humain
Les dialogues s'apparentent à du mauvais Shakespeare, empruntent parfois au latin, scandent des vérités lapidaires, soulignent des évidences pour le moins rebattues. Avec cette impression quelque peu désagréable de se retrouver devant le cours d'un professeur d'histoire-philo proche de la sénilité.
Quant à cette cité futuriste et utopique que le gourou Cesar réalise en fin de métrage, on est abasourdi par la laideur sidérale des effets visuels que Coppola convoque pour la matérialiser à l'écran. Et alors que les personnages paraissent tous en extase face à ce dédale numérique qui imite des motifs végétaux, l'émerveillement censé toucher le public de "Megalopolis" est aux abonnés absents. Un comble pour le climax de cette parabole qui impose une ville nouvelle dans laquelle personne n'aurait décemment envie de vivre.
En dépit de toutes ses qualités et de la fascination que l'on peut éprouver à son égard, il serait tout de même regrettable que l'œuvre immense de Francis Ford Coppola s'achève sur cet hymne bancal et maladroit à l'avenir du genre humain.
Rafael Wolf/olhor
"Megalopolis" de Francis Ford Coppola, avec Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Talia Shire, Dustin Hoffman, Jon Voigt, Giancarlo Esposito, Aubrey Plaza, Shia LaBoeuf. A voir dans les salles romandes depuis le 25 septembre 2024.
Note: 3/5