Dalida. Claude François. Django Reinhardt. Edith Piaf. Barbara. Serge Gainsbourg. Et maintenant Charles Aznavour. Le cinéma français n’a peut-être pas de super-héros, mais il ne manque pas d’icônes internationales de la chanson.
En attendant les futurs Hallyday, Brassens, Hardy, Birkin, c’est au tour de l’interprète de "La bohème" de passer à la moulinette biopic pour ce projet né sous les meilleurs auspices. Avant sa disparition, en 2018, le chanteur adoube en effet Grand Corps Malade, avec qui il a collaboré sur deux chansons, et son coréalisateur Mehdi Idir (déjà auteurs de "Patients" et de "La vie scolaire") pour se charger de transposer sa vie sur grand écran.
Survol d’une vie
Coproduit par le gendre d’Aznavour et supervisé par ses héritiers, le film, tout sauf hagiographique, survole méticuleusement les étapes de la vie de l’artiste, regroupées en cinq chapitres.
Tout, ou presque, y passe. L’enfance à Paris, au sein d’une famille de réfugiés arméniens sans le sou, mais remplie d’amour. L’Occupation. Les premiers pas sur scène. Le duo formé avec Pierre Roche. Edith Piaf (une excellente Marie-Julie Baup dans une version bien plus gouailleuse et burlesque de celle de Marion Cotillard) qui prend le "génie-con", comme elle l’appelle, sous son aile. Les Etats-Unis, le Québec. Le mariage. Les premiers enfants. La galère.
Retour en France au début des années 1950. Charles Aznavour écrit d’abord pour les autres, lutte contre son physique et sa "voix voilée". A force d’acharnement, de travail et d’ambition, sa carrière décolle en décembre 1960. Dès lors, l’artiste conquiert le monde, sacrifie sa famille, enterre un fils illégitime et avance avec l’ambition de devenir toujours plus grand, plus riche, plus célébré, jusqu’à sa mort en 2018.
Sur les pas de "La môme"
Que dire dès lors de ce "Monsieur Aznavour" qui marche dans les pas encore tièdes de "La môme"? Qu’on assiste, sur près de deux heures et quart, à du bel ouvrage, doté d’un budget confortable, même si la caméra virevoltante succombe souvent à une virtuosité assez vaine.
Que Tahar Rahim livre ce qu’on appelle une performance d’acteur bluffante, quand bien même il faut un petit moment pour s’habituer au masque rigidifiant que porte le comédien, qui chante et joue lui-même sur de nombreux titres, totalement investi dans un personnage résonnant sans nul doute avec son propre parcours.
Que la carrière et l’existence d’un artiste majeur ressuscite le temps d’un film, n’omettant aucun des grands tubes d’Aznavour, de "La bohème" à "Emmenez-moi", en passant par "Hier encore", "J’me voyais déjà" ou "Les comédiens". Que "Monsieur Aznavour" est porté par la sincérité, la proximité et l’amour de ses auteurs à l’égard d’un homme montré sous toutes ses facettes, même les moins reluisantes.
Un catalogue d’images
Grand Corps Malade et Medhi Idir font le job, comme on dit. Et mettent en lumière les paradoxes d’un artiste éternellement insatisfait, acharné de travail, obnubilé par l’argent et le succès, oubliant jusqu’à sa propre famille. Mais voilà! A force de vouloir condenser une matière qui n’aurait pas suffi à une série Netflix, enquillant les scènes comme des instantanés qui glissent sur nos rétines sans y adhérer, faisant défiler les personnalités le temps de quelques secondes à l’écran (Sinatra, Johnny Hallyday, François Truffaut, Gilbert Bécaud), les cinéastes, plutôt que d’en extraire une substantifique moelle, produisent un catalogue d’images qui finit par susciter l’ennui davantage que le vertige.
Ce n’est que lorsqu’il s’attarde un peu, le temps d’une performance sur scène, d’un moment de doute, de création, que le film parvient à nous émouvoir et nous emmener comme on aurait souhaité qu’il le fasse sur toute sa durée.
Rafael Wolf/olhor
"Monsieur Aznavour" de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, avec Tahar Rahim, Bastien Bouillon, Marie-Julie Baup. A voir dans les salles romandes depuis le 23 octobre 2024.
Note: 3/5