En 1988, Tim Burton s’imposait comme le cinéaste le plus en vue à Hollywood avec "Beetlejuice". Une comédie macabre qui tranchait avec les habituels blockbusters américains pour imposer un humour noir, une esthétique gothique et une vision de la vie après la mort aussi originale que désopilante.
Trente-six ans après, que reste-t-il du sale gosse marginal et solitaire qui avait érigé les "monstres" en héros modernes ("Batman", "Edward aux mains d’argent", "Ed Wood") face à une société américaine normative au visage réellement terrifiant? Force est de constater que la poésie acide s’est diluée dans le moule Disney pour lequel Tim Burton s’est fourvoyé jusqu’à son dernier long métrage en date, "Dumbo", dont il est ressorti profondément déprimé.
Trois générations de femmes
Suite tardive qui avait fini par ressembler à une arlésienne, ce "Beetlejuice Beetlejuice" prend des allures de résurrection pour Tim Burton, qui déterre l’esprit mal élevé, la tonalité sombre, les effets spéciaux artisanaux et l’imagerie macabre de ses débuts. Une suite à la fois nostalgique et mélancolique qui prend acte du vieillissement de ses interprètes confrontés à un au-delà et des fantômes qui, eux, n’ont pas pris une ride.
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Si l’on ne verra ici pas le couple Maitland (Geena Davis et Alec Baldwin) au cœur du premier film, ni même l’acteur Jeffrey Jones, dont la condamnation pour agression sur mineur a mis fin à sa carrière, on retrouve avec jubilation Delia Deetz (Catherine O’Hara), l’artiste farfelue dont l’époux vient de mourir croqué par un requin. Sa fille, Lydia (Winona Ryder), star d’un talk-show télévisé sur les maisons hantées, accepte d’épouser son producteur, un homme fourbe et sans relief. Enfin, la fille de Lydia, Astrid (Jenna Ortega), adolescente sceptique en froid avec sa mère, va découvrir l’existence des fantômes au moment où les trois femmes reviennent à Winter River pour les funérailles de Charles Deetz.
Un trio féminin qui gravite autour de Beetlejuice (Michael Keaton), le bio-exorciste vulgaire et hilarant poursuivi par son ex-épouse, Dolorès (Monica Bellucci), mangeuse d’âmes vengeresse. Ajoutez à cela Willem Dafoe en acteur décédé qui se prend pour un policier dans l’outre-monde et ne s’exprime qu’en clichés de séries policières tout en hurlant que ce qui importe, c’est l’authenticité.
Un millefeuille gourmand et généreux
Si les multiples intrigues portées à égalité par Delia, Lydia et Astrid donnent l’impression d’un scénario alambiqué frôlant la saturation, on goûte bizarrement sans retenue à ce millefeuille truffé de références ("Carrie", les films d’horreur de Mario Bava, "Braindead" de Peter Jackson) autant que de clins d’œil au premier volet.
De la séquence de reconstitution corporelle de Dolorès, éparpillée en petits morceaux dans des caisses en bois, jusqu’à l’apparition grotesque d’un bébé Beetlejuice, en passant par une galerie de cadavres particulièrement cocasses et saignants, "Beetlejuice Beetlejuice" offre à Tim Burton l’occasion de se replonger avec excès, gourmandise et générosité dans cet univers surréaliste, où le monde des morts ne cesse d’interférer avec celui des vivants.
Avec, au cœur du film, l’obsession du couple, du mariage, raté ou avorté, que l’on pourra lire comme une confession de la carrière même de Tim Burton. Le cinéaste n’a jamais caché son identification avec le personnage de Lydia qui, dans cette suite, s’est fourvoyé dans une émission télévisée purement mercantile et s’apprête à s’unir à un producteur cynique ne voyant en elle qu’une vache à lait.
On devine sans peine un mea culpa du cinéaste quant à son union malheureuse avec les studios Disney, enfin libéré de ses corsets commerciaux pour ce film qui s’affirme comme son meilleur depuis des lustres. Certes pas du niveau des chefs-d’œuvre que sont "Batman Returns" ou "Edward aux mains d’argent". Mais à défaut de se renouveler, Tim Burton s’est retrouvé. On n’en demandait pas davantage.
Rafael Wolf/sc
"Beetlejuice Beetlejuice" de Tim Burton, avec Michael Keaton, Winona Ryder, Jenna Ortega, Monica Bellucci. A voir dans les salles romandes depuis le 11 septembre 2024.