"Borsalino", Jean-Paul Belmondo et Alain Delon en caïds de la pègre marseillaise
Grand Format
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Adel Productions / AFP
Introduction
Réalisé par Jacques Deray en 1970, "Borsalino" réunit les deux plus grandes stars masculines françaises du moment, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon. A l'occasion du décès de ce dernier, découvrez l'histoire du film, véritable hommage aux longs métrages de gangsters américains avec en toile de fond, Marseille.
Chapitre 1
Deux vedettes dans leur étincelante jeunesse
Collection ChristopheL via AFP - Jean-Paul Belmondo et Alain Delon dans "Borsalino", de Jacques Deray, en 1970. ADEL PRODUCTION - MARIANNE PRODU
En 1970, le réalisateur français Jacques Deray rassemble Alain Delon et Jean-Paul Belmondo dans "Borsalino", l'histoire de deux jeunes malfaiteurs qui se lient d'amitié et deviennent les rois de la pègre dans le Marseille des années 1930. Pour les besoins du tournage, la ville est luxueusement reconstituée, avec ses malfrats, son quartier du Panier et ses prostituées. Le cadre, le ton, l'ambiance, l’inoubliable musique de Claude Bolling ainsi que la galerie de personnages participent au charme du film.
Dans "Borsalino", Delon et Belmondo cheminent côte à côte dans leur éclatante jeunesse, costumes trois-pièces impeccables et pochettes assorties, le cigare au coin des lèvres, le fameux chapeau de gangster légèrement incliné sur la tête. Ils deviennent inséparables après une bagarre mémorable où ils se rendent coup pour coup.
A la sortie du long métrage, une brouille éclate entre les deux vedettes à propos d'une formulation contractuelle non respectée sur l'affiche. Belmondo, procédurier, traîne Delon devant les tribunaux et gagne. "C'était des querelles d'amoureux", balaiera-t-il des années plus tard. Il n'empêche, Belmondo ne se rendra pas à l'avant-première du film, qui fera près de cinq millions d'entrées.
Chapitre 2
Un film de gangsters français
Collection ChristopheL via AFP - Jean-Paul Belmondo et Alain Delon dans "Borsalino", de Jacques Deray, en 1970. ADEL PRODUCTION - MARIANNE PRODU
Marseille, 1930. Roch Siffredi (Alain Delon), petit truand, sort de prison. Il est décidé à retrouver sa compagne, Lola. Mais pendant qu’il purgeait sa peine, celle-ci s’est entichée de François Capella (Jean-Paul Belmondo), un autre voyou.
Lorsque les deux hommes se rencontrent la première fois, c’est explosif. C’est à coups de poing qu’ils règlent la question Lola, avant de devenir amis. Ils s’associent pour mener des petites opérations pour des notables locaux. Après avoir éliminé la concurrence sur le marché du poisson, ils réalisent qu'ils peuvent en faire plus et décident de conquérir la ville ensemble.
Dénués de scrupules et imaginatifs, ils s'attaquent à l'un des deux parrains de Marseille nommé Poli, propriétaire d'un restaurant et responsable de l'approvisionnement de la ville en viande. Mais l’opération de sabotage des entrepôts de viande est un échec, Siffredi et Capella sont obligés d’aller prendre le frais à la campagne.
C’est là, pendant qu’ils se font oublier, qu’ils recrutent des nouveaux membres pour leur bande, achètent des armes et préparent leur vengeance. De retour à Marseille, ils tuent Poli et gagnent leur place parmi les notables de Marseille. Mais ça ne leur suffit pas. D’intrigues en assassinats et coups de force, ils finissent par se hisser à la tête de la pègre marseillaise.
"Nous voulions faire un film de gangsters, explique Jacques Deray, mais dans une certaine tradition française, celle de Jacques Becker. C’est-à-dire un certain intimisme et un certain humour à l’intérieur d’une histoire violente. Le premier problème était donc de trouver le ton et le charme du film. Le second problème de scénario consistait à faire un film de deux heures sans intrigue construite et sans nœud dramatique. Nous voulions faire une chronique, un fleuve qui n’ait, à la limite, ni début, ni fin, et qui charrie des personnages secondaires, des anecdotes qui se croisent, qui s’entrecroisent".
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Chapitre 3
Sur une idée d'Alain Delon
Collection ChristopheL via AFP - Alain Delon dans "Borsalino" de Jacques Deray en 1970. ADEL PRODUCTION - MARIANNE PRODU
La genèse de "Borsalino" appartient totalement à Alain Delon. L'acteur va produire le film, être de toutes les étapes et en assurer le suivi. L'idée date de 1968: lors du tournage de "La piscine", Delon présente à Jacques Deray un livre qu’il vient de lire. L'ouvrage est signé Eugène Saccomano, un journaliste de la région, et a pour titre "Bandits à Marseille". Il relate l’histoire du banditisme dans la cité phocéenne.
Un chapitre retient particulièrement l’attention de Delon, celui sur Carbone et Spirito, deux bandits qui règnent en maîtres absolus sur la pègre marseillaise dans les années 30.
Alain Delon s’y voit déjà: lui, en brigand des années 30 et comme comparse, Jean-Paul Belmondo, avec qui il n’a jamais tourné.
Spirito et Carbone sont des voyous plutôt pittoresques et spectaculaires, s’intéressant à la drogue et aux filles. Il y a là du bon matériel cinématographique. "J’en serai le producteur et tu seras le réalisateur", dit encore Delon à ce moment-là.
Chapitre 4
Quand la pègre se réveille
Collection ChristopheL via AFP - Jean-Paul Belmondo et Alain Delon en caïds de la pègre marseillaise dans "Borsalino" en 1970. ADEL PRODUCTIONS / MARIANNE PROD
En tant que producteur, Alain Delon s’associe avec la Paramount. Le film est intitulé "Carbone et Spirito" et est annoncé en mars 1969. Mais cette annonce va faire des remous.
Aussitôt, le milieu de la pègre marseillaise fait pression sur la production. Selon le journaliste Philippe Lombard, le frère de Paul Carbone s’épanche dans la presse: "Si on tourne ce film, je sais bien ce qu’on va dire: que mon frère et Spirito étaient des gangsters et qu’ils ont fait pis que pendre. Cela, je ne le veux pas parce que c’est faux."
De plus, le scénario évoque l’Occupation, période pendant laquelle les deux caïds ont collaboré. A Marseille, plus personne ne veut s’impliquer dans le film et les portes se ferment les unes après les autres. Jacques Deray reçoit même des menaces par téléphone.
Alain Delon va tout régler: il a quelques relations avec le milieu. Comme c’est son film et qu’il y tient beaucoup, il s’envole pour la Corse.
"À son retour, se souvient Jacques Deray, tout démarre sur de nouvelles bases qui compromettent à peine l’esprit du film. Le titre provisoire 'Carbone et Spirito' est modifié ainsi que le nom des personnages. L’histoire s’arrête en 1939 – quelques critiques nous le reprocheront. Les héros de 'Marseille 1930', nouveau titre, s’appellent désormais Roch Siffredi, nom emprunté à notre régisseur vedette bien connu dans la cité phocéenne, et François Capella."
Mais 'Marseille 1930', ce n’est pas très vendeur. C’est Alain Delon, en producteur avisé, qui a l’idée du titre "Borsalino", d’après le nom de la célèbre marque de chapeaux portés par les gangsters de l’époque.
Chapitre 5
Marseille reconstitué
Collection ChristopheL via AFP - Mireille Darc en prostituée marseillaise dans "Borsalino" de Jacques Deray. ADEL PRODUCTION - MARIANNE PRODU
Marseille doit avoir la même place que Delon ou que Belmondo dans le film, explique Jacques Deray en 1969 au moment du tournage du film. La ville doit être littéralement le troisième personnage principal du film.
Pour concrétiser la chose, le réalisateur écume les bibliothèques. Il plonge dans les journaux de l’époque, il consulte les archives de la ville, lit et relit le livre "Bandits à Marseille", à l’origine du film.
"À ce moment-là, se souvient Jacques Deray, il n’y avait pas encore de musée de l’automobile, et j’ai pu récupérer des tas de voitures de l’époque. J’ai aussi complètement transformé plusieurs rues de Marseille! On avait enlevé les clous, les antennes, les feux rouges… J’ai fait venir des vieux trains à vapeur dans les gares."
Le décorateur François de Lamothe construit une maquette de cinquante mètres de haut du pont transbordeur, qui enjambait le port de Marseille jusqu’en 1944. Un hic toutefois, à quelques semaines du tournage: alors que tout est prêt, le dollar se dévalue. Les capitaux du film sont américains, puisque c'est la Paramount qui finance. Dix-sept pour cent du budget du film sont brutalement amputés en raison des taux de change.
Avec l'accord du scénariste, Jean-Claude Carrière, on élimine la dernière scène, celle du train qui déraille, inspirée directement de la mort de Carbone, le vrai bandit marseillais. Et le tournage peut démarrer.
Chapitre 6
Un tournage sans heurts
Collection ChristopheL via AFP - Jean-Paul Belmondo et Catherine Rouvel dans "Borsalino". ADEL PRODUCTION - MARIANNE PRODU
Le tournage proprement dit se tient de septembre à novembre 1969 à Marseille. De manière générale, il se passe agréablement et dans la bonne humeur. Jean-Paul Belmondo et Catherine Rouvel, l’actrice qui joue Lola, s’entendent à merveille. Ils rigolent tellement qu’ils perturbent le tournage.
Quant à Belmondo et Delon, ils s’entendent bien, même et surtout si la presse guette leur moindre mésentente ."Il n’y a pas eu vraiment de conflit, affirme Jacques Deray. On ne peut pas dire qu’il y avait entre eux une amitié débordante, mais ils faisaient leur boulot. Il fallait en face d’eux un metteur en scène qui aime bien les acteurs pour leur donner de l’importance à tous les deux et ne pas jouer l’un par rapport à l’autre."
Le maquilleur Charly Koubesserian, grand ami de Bébel, renchérit: "Quitte à casser des légendes, je témoigne que tout s’est très bien passé durant ce tournage. Il y avait bien sûr une compétition entre les deux stars, une compétition amicale. Et les accrochages qu’il y a eu - car il y en eut quelques-uns - ne furent que les accrochages habituels entre deux stars."
Le premier assistant s’entend à merveille avec Belmondo, Delon, lui, s’entend particulièrement bien avec Jacques Deray, qu’il appelle "mon Jacquot". Quant au milieu marseillais, il n’intervient pas.
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Chapitre 7
Belmondo et Delon
Collection ChristopheL via AFP - Alain Delon et Jean-Paul Belmondo dans "Borsalino". ADEL PRODUCTION - MARIANNE PRODU
On sait que les deux comédiens principaux travaillent leurs rôles très en amont, étudient leur personnage en profondeur, s’imprègnent du texte. Un texte que, souvent, Belmondo préfère oublier avant les prises de vue afin de paraître plus frais. Sur le plateau, les deux stars s’entendent bien, même si chacun préfère rester avec son clan.
Chacun a sa manière de se comporter sur un plateau de cinéma. Faire l’idiot sur un tournage est pour Belmondo sa manière de se concentrer, et en tous cas, de faire ressortir l’énergie nécessaire pour entrer dans un rôle. Il arrive avec un large sourire, salue tout le monde, évite les gens à problème. Il a besoin d’un afflux de bonne humeur pour se sentir à l’aise et en conséquence, fait tout pour s’amuser, en apparence. Avec son staff, et tout particulièrement avec son maquilleur, il multiplie les plaisanteries.
A l’inverse, quand il arrive sur un plateau, Delon a besoin de calme, voire d’isolement, afin de ne pas se laisser envahir par les mille et un détails qui tournent autour de lui et l’agressent. Il veut être dans son rôle et se coupe des contacts. Cela lui donne une apparence austère, peu bavarde, rarement affable.
Leur seul point commun se situe dans leur manière de travailler avec les autres acteurs. Parfaitement conscients de leur statut de star et de l’image qu’ils dégagent, ils s’efforcent de mettre à l’aise le plus petit partenaire. Non seulement, ils savent que cela servira le film, mais ils se souviennent aussi du trac de leurs débuts quand ils se retrouvent face à des Gabin, des Blier, des Bourvil et Lancaster.
Mais surtout, derrière eux, il y a le réalisateur Jacques Deray qui veille au grain et qui met tout le monde à l’aise.
Chapitre 8
La sortie du film et la guerre de l'affiche
Collection ChristopheL via AFP - Jean-Paul Belmondo et Alain Delon dans "Borsalino" de Jacques Deray en 1970. ADEL PRODUCTIONS / MARIANNE PROD
En 1970, "Borsalino" sort sur les écrans. A l’affiche, deux monstres sacrés du cinéma français. Il a été précisé dans le contrat que les deux stars doivent prendre exactement le même nombre de coups de poing et apparaître un temps identique à l’image. Idem pour l’affiche.
Par contrat toujours, il est prévu que l’affiche et le générique soient ainsi libellés: "Adel Production présente Belmondo/Delon". Mais il y a un couac. Sur l’affiche, apparaissent ces mots: "Paramount présente une production Alain Delon: Belmondo/Delon dans 'Borsalino'".
Le nom de Delon, qui accessoirement est réellement le producteur du film, apparaît donc deux fois et celui de Belmondo une seule fois. Vexée, la vedette demande réparation à la justice et se refuse à la promotion télévisuelle du film. Cette bataille juridique, à partir de laquelle naît le mythe d’une guerre Delon-Belmondo, assure paradoxalement la promotion du film.
Car cette brouille entre les deux stars retient l’attention de la presse, qui n’avait pas eu ce qu’elle voulait d’éclats de voix pendant le tournage du film. Cela fait les gros titres, les stars se répondent par presse interposée et pendant ce temps-là, le public se rue pour voir "Borsalino" au cinéma. Les critiques, eux s’interrogent. On reconnaît le savoir-faire de Jacques Deray et le talent des interprètes, mais une frange de la critique, surtout de gauche, reproche à "Borsalino" de dresser un portrait pittoresque d’une époque sordide et d'offrir une vision idéalisée de deux crapules.
Mais le film est un succès qui marque l’histoire du cinéma français. Il lance même la vogue d’un cinéma rétrospectif sur les années trente, ainsi que des séries télé comme "Les brigades du tigre".
Quant à la justice, elle donnera finalement raison à Belmondo, deux ans plus tard. "Cette brouille était bien réelle, avoue Delon en 1977. Ce n’était pas publicitaire et encore moins une brouille capricieuse. Elle était basée sur des erreurs commises de ma part ou d’incompréhension de la part de Jean-Paul, peu importe maintenant. J’étais aussi producteur du film, alors disons qu’il y a eu des erreurs de compréhension sur les termes contractuels. Cette querelle n’était pas une rupture de caprice. Elle était fondée. On a discuté un jour pour finalement se rendre compte qu’on n’allait pas rester brouillés toute la vie pour des bêtises pareilles."
Au début des années 80, les deux acteurs se réconcilient, mais il faut attendre 29 ans, 1998, pour qu’ils rejouent ensemble. Ce film événement, intitulé "Une chance sur deux", est réalisé par Patrice Leconte et marque la réconciliation entre les deux seniors qui, à plus de 60 ans, s’affrontent à mains nues dans un duel musclé.
Enfin, le succès du film "Borsalino" va avoir une conséquence cocasse. Passionné par le film, par le look et la désinvolture du personnage incarné par Alain Delon à l’écran, un futur acteur, Rocco Tano, choisit le nom de Rocco Siffredi pour se lancer dans une carrière très productive. Rocco Siffredi, acteur porno, tournera sous ce nom-là plus de 613 films X et en réalisera plus de 289.