Nabil Ayouch filme le désir d'émancipation d'une chanteuse traditionnelle marocaine

Touda (Nisrin Erradi) rêve de devenir une cheikha, une artiste traditionnelle marocaine, qui chante des textes de résistance, d'amour et d'émancipation, transmis depuis des générations. Se produisant tous les soirs dans les bars de sa petite ville de province sous le regard et les mains baladeuses des hommes, Touda nourrit l'espoir d'un avenir meilleur pour elle et son fils sourd et muet, qu'elle élève seule. Maltraitée et humiliée, elle décide de tout quitter pour les lumières de Casablanca.

Dans "Everybody Loves Touda" présenté au dernier Festival de Cannes, le cinéaste franco-marocain Nabil Ayouch rend donc hommage à cette figure artistique traditionnelle en filmant son désir d'émancipation. Après "Haut et fort" (2021) ou "Les chevaux de Dieu" (2012), il y poursuit aussi son travail de peinture de la société marocaine contemporaine encore marquée par le patriarcat, en s'attachant cette fois à montrer une femme puissante qui fait de la résistance face à une violence qui a l'air banale au quotidien et refuse de devenir une proie.

"C'est une espèce de banalité ordinaire qui m'a beaucoup marqué quand j'ai entendu les récits de vie des cheikhas avant d'écrire le scénario du film. (...) Ce qui m'a probablement le plus touché, c'est la manière dont le lendemain, elles étaient obligées de faire fi de cette violence et de repartir dans ce tourbillon pour garder la tête hors de l'eau", explique Nabil Ayouch dans l'émission Vertigo du 26 décembre.

"Des femmes fortes, des guerrières"

Touda, l'héroïne incandescente de "Everybody Loves Touda", est une femme sensuelle et libre, qui paie cher son indépendance dans une société qui accepte mal qu'une femme vive seule. L'actrice Nisrin Erradi l'incarne aussi sublimement que subtilement. "Ce sont des femmes que j'observe à distance depuis très longtemps, que j'admire et que je regarde comme des femmes fortes, des guerrières, des femmes qui ont joué un rôle important dans l'histoire du Maroc, qui ont été de tous les combats à travers leurs chants et qui ont eu un destin malheureusement peu enviable", détaille Nisrin Erradi.

Nabil Ayouch filme Touda au plus près de son corps, de ses souffrances et ses exultations, mais aussi de sa soif de liberté et rythme le récit de son héroïne avec des chansons dont les paroles font partie intégrante de la narration.

Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert

Adaptation web: Olivier Horner

"Everybody Loves Touda" de Nabil Ayouch, avec Nisrin Erradi, Joud Chamihy, Jalila Tlemsi. A voir dans les salles romandes depuis le 25 décembre 2024.