Un débat agite la plus grande industrie du cinéma, Bollywood, depuis quelques jours. Réalisateurs et producteurs se sont exceptionnellement donnés la main pour dénoncer la censure morale qui s'est installée avec la nomination d'un nouveau directeur à la tête du comité de certification des films, il y a 2 ans. Ce proche des nationalistes hindous au pouvoir s'est donné pour mission de moraliser le 7e art indien.
Une affaire vient de cristalliser ces tensions: la censure d'un film sur les ravages de la drogue dans la région du Pendjab.
"Udta Punjab" traite de manière explicite les ravages de la drogue, et particulièrement de l'héroïne, chez les jeunes du Pendjab. Un problème très sérieux, car cette région du nord ouest de l'Inde reçoit de grandes quantités d'opiacés de l'Afghanistan voisin et, selon les chiffres officiels, il y a 3 fois plus de consommateurs de drogues au Pendjab que que dans le reste de l'Inde.
89 scènes censurées
Mais le comité de certification n'a apprécié ni la forme, ni le propos du long-métrage: il a ordonné 89 coupes, pour retirer des scènes où les jeunes disent des gros mots ou celles où l'on voit des injections d'héroïne en gros plan. Plus étonnant: le directeur du comité a imposé d'enlever toute référence directe au Pendjab et aux politiciens locaux.
Interdit aussi de mentionner le nom d'une ville de la région, pour éviter d'entacher l'image du Pendjab. Des références qui ne doivent surtout pas embarrasser les élus locaux, proches du parti au pouvoir dans un pays qui vivra des élections régionales dans quelques mois.
Bollywood attack
Il est courant que ce comité impose des coupes avant la diffusion des films, pour retirer des scènes légèrement érotiques ou qui peuvent insulter une certaine caste ou communauté indienne. Mais dans ce cas, il s'agirait carrément d'une censure beaucoup plus large, politique et sociale.
La grogne de Bollywood est très forte, surtout parce que "Udta Pencjab" est un film produit par Anurag Kashyap, un réalisateur récompensé à Cannes en 2011 et considéré comme le fleuron de la nouvelle vague indienne. Le monde entier de Bollywood s'est rassemblé derrière lui pour dénoncer une atteinte à la liberté d'expression et réclamer la démission du directeur du comité.
Mashesh Bhatt, un réalisateur indien de renom, déclare lors de la conférence de presse de soutien de toute la profession demande si l'Inde n'est pas en train de devenir une nouvelle Arabie Saoudite. Il rajoute: "Tous les discours sur le progrès et la croissance ne sont que des balivernes si le parfum de liberté que les pères fondateurs de notre nation nous ont offert est retiré."
L'industrie du film entendue
Les producteurs ont saisi la Haute Cour de Bombay qui, après avoir entendu les deux parties, a décidé lundi d'autoriser la diffusion du film pour un public adulte avec une seule scène coupée, cella dans laquelle on voit le personnage principal uriner.
Autant dire, une grande victoire pour les réalisateurs et producteurs indiens.
Sébastien Farcis/mcc