Une petite orpheline, Sophie (Ruby Barnhill), rencontre un gentil géant de 7 mètres 50 de haut (Mark Rylance), qui l’emmène chez lui, au pays des géants, et au pays des rêves. Ensemble, ils vaincront d’autres géants, dévoreurs d’enfants, et sauveront l’Angleterre – et le monde. Chez Roald Dahl comme chez Spielberg, Sophie est sérieuse, intelligente, parfois mélancolique. "Nous voulions une petite fille très tenace, confiante, mais pas trop sûre d’elle. Il fallait qu’elle soit assez forte pour survivre au pays des géants. Il fallait aussi que son personnage crée un bon équilibre avec le géant, qu’elle puisse lui tenir tête", explique Steven Spielberg.
Vaincre les ténèbres
Car lorsqu’on construit un personnage, peu importe l’histoire, il faut qu’il y ait du contraste: "Ça, c’est Walt Disney qui me l’a appris, lorsque j’étais enfant, poursuit le cinéaste. Disney était très fort pour me plonger dans la peur et le désarroi, avant de me secourir héroïquement. Ses films me mettaient face à mes peurs, tout en me donnant l’impression de les avoir surmontées. Alors, même à 6 ou 7 ans, en voyant ses dessins animés, je me sentais adulte, comme si j’avais une sorte de pouvoir. J’avais vaincu les ténèbres. C’est l’effet qu’ont les grands contes de fées et c’est ce que fait Roald Dahl dans ses œuvres."
Comme au théâtre
Pour traduire à l’écran l’univers de Roald Dahl, Steven Spielberg a choisi de mélanger images numériques et prises de vue réelles. Pas simple pour un acteur d’incarner un personnage quand le plateau est nu. Mais Mark Rylance, bien qu’il ait reçu un Oscar pour sa prestation tout en retenue dans "Le Pont des espions", le précédent film de Spielberg, est avant tout un acteur de théâtre.
"Mark aimait l’abstraction des décors numériques, se souvient Steven Spielberg. Il se sentait très à l’aise, seul sur un grand plateau blanc avec les ordinateurs, les capteurs de mouvement. Pour lui, c’était comme répéter une pièce."
Blanc et abstrait
Ruby Barnhill, 12 ans, ne pouvait évidemment pas se targuer de la même expérience. "Je voulais qu’elle soit à l’aise, qu’elle voie à quoi le film allait ressembler, raconte Steven Spielberg. On a construit certains décors, en immense, pour qu’elle puisse s’immerger dans l’univers du film. Mais tout ce qui concerne la vie du Bon Gros Géant était numérique. Sa maison, le feu qui crépite, la cascade, la cave des rêves... Ruby ne pouvait donc se raccrocher à rien sur le plateau. Alors je la prenais avec moi, je l’emmenais vers les écrans et je lui montrais les premiers rendus un peu brouillons pour qu’elle ait une idée des décors dans lesquels elle allait jouer. Et elle était si intelligente qu’elle était capable de comprendre, de saisir ces rêves qu’on allait créer, ce monde magique qu’on allait fabriquer, elle mémorisait tout, et était ensuite capable de jouer dans un univers entièrement blanc, complètement abstrait."
Pour Steven Spielberg, "Le Bon Gros Géant" représentait un vrai défi pour les acteurs – et pour lui-même. "C’était un film vraiment intéressant à fabriquer, très abstrait dans sa production, pour un résultat extrêmement réalisé."
Propos recueillis par Raphaële Bouchet au Festival de Cannes, où "Le Bon Gros Géant" était présenté hors compétition.
Un "Bon Gros Géant" édulcoré
Le Britannique Roald Dahl (1916-1990), l’un des plus fameux écrivains pour enfants, a souvent inspiré le cinéma. Tim Burton ("Charlie et la chocolaterie"), Wes Anderson ("Fantastique Maître Renard") ou Danny DeVito ("Matilda") se sont frottés avec plus ou moins de bonheur à sa prose très visuelle et à son univers fantastico-philosophique, où les jeunes héros se sentent exclus, où les grandes personnes s’illustrent souvent par leur méchanceté et leurs défaillances.
Avec son histoire d’amitié entre un géant rejeté des siens et une fillette solitaire, "Le Bon Gros Géant", paru en 1982, l’année de la sortie d’"ET", semblait destiné au regard de Steven Spielberg, cinéaste ô combien travaillé par la thématique de l’enfance (lire le décryptage de Rafael Wolf).
Sans émotion ni profondeur
Mais entre Dahl et Spielberg, l’étincelle n’a pas eu lieu. Certes, Spielberg sait créer du merveilleux sans jamais tomber dans la mièvrerie, et son film est une réussite visuelle. Mais il manque cruellement d’émotion et de profondeur. Le cinéaste semble avoir édulcoré tout ce qui faisait le sel philosophique du texte de Roald Dahl. Le BGG, géant végétarien et pacifiste, invite Sophie à changer son point de vue sur le monde.
Spielberg met ces enjeux-là sous le tapis s’engonce dans une certaine mollesse. Reste la dernière demi-heure et son soubresaut d’énergie, quand Sophie et le géant se retrouvent face à la reine d’Angleterre. C’est drôle et rythmé, et le film prend soudain une dimension irrévérencieuse et politique. Trop tard, hélas, pour nous tirer de notre léthargie.