"Commandant Jacques-Yves Cousteau, explorateur, pionnier, cinéaste, légende." C'est en ces termes que la fondation Cousteau décrit l'aventurier des mers, décédé en juin 1997 à 87 ans. Près de 20 ans plus tard, le marin dégingandé au bonnet rouge fascine toujours.
"L'Odyssée", un long-métrage consacré à sa vie, sort en salles mercredi. Parallèlement, plusieurs émissions télévisées et une exposition lui ont été consacrées en France depuis le début de l'année. Et à en croire un sondage Le Parisien, l'aura de l'ex-officier de marine girondin est toujours intacte chez nos voisins français (dont il a été la "personnalité préférée" à 20 reprises de son vivant).
Scaphandre autonome et soucoupe plongeante
L'importance de son héritage dans le domaine de l'océanographie est, de fait, indiscutable. Avec ses équipes, Jacques-Yves Cousteau a inventé plusieurs outils qui ont tout bonnement révolutionné la discipline, comme le scaphandre autonome ou la soucoupe plongeante. Dès les années 1940, il a révélé au grand public les mystères du monde sous-marin dans des dizaines de films aux images exceptionnelles.
Ses prises de position, sa fondation, ont contribué à la prise de conscience globale sur la richesse et la vulnérabilité des ressources marines, lui valant de nombreuses décorations et la reconnaissance internationale. Mais la polémique est inhérente au parcours de toute personnalité de cette envergure, et le commandant Cousteau ne fait pas exception.
Une conscience écologiste tardive
Même ses proches reconnaissent que la fibre écologiste du commandant s'est éveillée sur le tard et que, rétrospectivement, les premières expéditions scientifiques du globe-trotter s'apparentaient davantage à des parties de chasse au cétacé. A cet égard le film multi-récompensé "Le monde du silence", qui suit une expédition de la Calypso au milieu des années 1950, divise.
Dans une chronique au vitriol diffusée l'été dernier sur le site de l'émission Là-Bas si j'y suis, Gérard Mordillat qualifiait par exemple le documentaire de "naïvement dégueulasse". Le cinéaste y dénonçait par le menu le dynamitage d'un récif corallien, la quasi-noyade d'une tortue marine et le massacre de requins à coups de pelle.
Très partagée, cette chronique a suscité une avalanche de réactions contradictoires. Les anciens compagnons de route du commandant, eux, ont volé à son secours. "Ça (les accusations) ressort de temps à autre et ça m'énerve profondément", s'est récemment indigné son ami Yves Paccalet sur France Télévisions. "Il faisait de l'océanographie comme dans les années 50 : quand on voulait savoir ce que mange un dauphin, on l'attrapait et on lui ouvrait le ventre." L'océanographe François Sarano a pour sa part rappelé au Figaro qu'à l’époque le contexte et le système de valeurs n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui.
"Les mentalités ont évolué, grâce à moi"
Reste qu'il y a 20 ans, Jacques-Yves Cousteau était déjà confronté à ces accusations de maltraitance animale. Un portrait du navigateur paru dans Libération en 1995 rappelle ainsi comment l'équipage de la Calypso utilisait du chlorax sur les pieuvres pour obtenir de belles images. "Les enfants de 1956 rêvaient, ceux de 1995 sont scandalisés", relève le journaliste. "Ils ont raison et j'en suis fier, cela prouve que les mentalités ont évolué grâce à moi", lui rétorque le commandant.
Le même article dépeint un homme ayant essuyé plusieurs tempêtes en affaires (deux de ses projets, celui d'un sous-marin futuriste et d'un parc océanique, ont fait naufrage au prix de plusieurs millions) et un brin opportuniste lorsqu'il s'agissait de se renflouer financièrement. La fondation Cousteau aurait ainsi perçu en 1988 de l'argent du ministre de la Défense de l'époque, Pierre Joxe, quelques mois après que le commandant avait qualifié les essais nucléaires français dans le Pacifique d'inoffensifs (alors qu'il les fustigeait deux ans plus tôt).
Au tout début de ses expéditions, la Calypso du commandant Cousteau a par ailleurs servi à mener quelques prospections pétrolières rétribuées pour le compte de grandes compagnies.
Relations complexes avec ses enfants
Le commandant Cousteau était aussi le père de quatre enfants, et se qualifiait lui-même de "défaillant" car "épisodique". Ses relations ont été particulièrement difficiles avec l'aîné, Jean-Michel, qu'il dénigrait publiquement et à qui il a intenté un procès, l'accusant de faire un usage abusif de leur patronyme -Jean-Michel avait monté aux Fidji un complexe de vacances baptisé Cousteau les Flots Bleus.
"Mon fils est charmant, mais il n'est pas capable. Ce n'est pas parce qu'un gosse est né de votre sperme qu'il a les qualités nécessaires pour vous remplacer", a déclaré le commandant lorsque le parc océanique Cousteau a mis la clé sous la porte en 1992, rappelle L'Express.
C'est le rapport du héros avec son deuxième fils, Philippe, qui est décrypté dans "L'Odyssée", un film qui parvient sans fard mais sans charge excessive à restituer les multiples facettes de l'amoureux des océans.
Pauline Turuban