Depuis cinquante ans, Ken Loach revendique un cinéma politique et militant, qui donne la parole aux laissés-pour-compte. À 80 ans, il a une trentaine de films, et beaucoup de prix cannois, dans sa besace: "Kes", en 1969, "My Name is Joe", Prix d'interprétation masculine en 1998, "Le Vent se lève", sa première Palme d'or en 2006, "La Part des anges", Prix du Jury en 2012...
Et après "Jimmy’s Hall", film en costumes dont le tournage s'est avéré compliqué, Ken Loach avait décidé de prendre sa retraite. Pas longtemps.
Une histoire simple
Pour écrire l'histoire de Daniel Blake, Paul Laverty, scénariste, et Ken Loach se sont inspirés de nombreux témoignages qu'ils ont recueillis à travers l'Angleterre. Ken Loach et Paul Laverty voyagent de contés en contés. Ils visitent les restos du cœur, dont des centaines de milliers de gens dépendent. La chose la plus frappante affirme Ken Loach, c'est l'amitié.
Les gens sont solidaires les uns avec les autres, même avec ceux qu'ils ne connaissent pas. L'amitié et la solidarité, face à la cruauté de l'État, ce sont les éléments qu'on a essayé de combiner dans ce film. "Moi, Daniel Blake" n'avait pas besoin de grands trucs cinématographiques. Il nous fallait juste une histoire simple qui laisse émerger l'humanité des personnages.
C'est cette humanité, certainement, qui a bouleversé le jury cannois et a permis à Loach d'entrer dans le club très fermé des cinéastes doublement palmés.
Pire que Leni Riefenstahl
Le palmarès cannois, cependant, a fait jaser plus d'un critique. Face à "Moi, Daniel Blake", d'autres films semblaient plus novateurs et audacieux. Comment Ken Loach a-t-il vécu la contestation autour de ce prix?
On a été étonnés par ce prix. C'est précieux pour nous d'être valorisés ainsi. On sait qu'à la sortie du film en Angleterre, on aura des attaques de la droite. J'ai été accusé de détester mon pays. On a dit que je faisais des films de propagande pires que ceux de Leni Riefenstahl. Un journaliste de droite a écrit: "Je n'ai pas vu le film, je ne veux pas le voir, parce que je n'ai pas besoin de lire "Mein Kampf" pour savoir que Hitler était une crapule." C'est le genre d'abus auxquels on a droit en Angleterre. Le soutien de Cannes est donc très utile.
Raphaële Bouchet/ld
"Ken ne nous dit jamais rien", selon l'acteur Dave Johns
La force de "Moi, Daniel Blake" tient aussi à l'interprétation magnifique de son comédien, Dave Johns. Avant de rencontrer Ken Loach, cet acteur de stand-up n'avait travaillé que pour la télévision.
"J'ai entendu que Ken cherchait quelqu'un avec l'accent de Newcastle, alors, bien sûr, je me suis précipité au casting. Quand on tourne avec lui, tout est écrit, mais il aime nous faire des surprises. Il ne donne presque aucune indication de jeu, il veut qu'on sente les choses par nous-mêmes. Il ne dit rien non plus sur sa manière de nous filmer ou sur les objectifs qu'il fixe sur sa caméra. J'ai été très surpris quand j'ai découvert le film avec ces énormes gros plans. Mon visage m'a paru tellement grand sur l'écran. Je ne savais absolument pas qu'il me filmerait comme ça!".