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La nouvelle vague du cinéma roumain continue de briller

L'équipe du film "Baccalauréat" à Cannes. [AFP - Valéry Hache]
Film: Mention très bien pour le "Baccalauréat" de Cristian Mungiu / Vertigo / 8 min. / le 5 décembre 2016
La sortie de "Baccalauréat", nouveau film magistral de Cristian Mungiu, Prix de la mise en scène à Cannes cette année, prouve que la nouvelle vague roumaine n’est pas près de s’essouffler. Le film sort en salles mercredi 7 décembre.

Depuis une petite quinzaine d’années, le cinéma d’auteur roumain rafle de prestigieux prix, à Cannes et ailleurs. Cristian Mungiu et sa Palme d’or en 2007 pour "4 mois, 3 semaines et 2 jours" en est le plus illustre représentant. Mais bien d’autres noms, plus ou moins célèbres, plus ou moins primés, ont fait leurs preuves: Cristi Puiu ("Sieranevada"), Corneliu Porumboiu ("Policier, adjectif"), Radu Muntean ("L’Etage du dessous"), Calin Peter Netzer ("Mère et fils"), ou encore Bogdan Mirica ("Dogs").

Le pilier Pintilie

Cette nouvelle vague est née dans la Roumanie post-communiste, après l’effondrement de la dictature de Ceausescu en 1989. Des écoles de cinéma sont créées, explique Mathieu Macheret, critique de cinéma au quotidien français "Le Monde". Une nouvelle génération de techniciens, comédiens et cinéastes, souvent issus du théâtre et passés par la télévision, voit le jour.

Ils sont réunis autour d’une grande figure, celle de Lucian Pintilie, homme de théâtre et de cinéma, qui a réalisé des films très importants sous le communisme comme "La reconstitution" (1968) qui sera interdit par la censure comme bon nombre de ses films et de ses mises en scène de théâtre.

Lucian Pintilie s’est énormément investi pour l’émergence de cette nouvelle vague. Il a lu les scénarios et produit certains films, bref, il a beaucoup aidé ces réalisateurs dont les premiers films ont apparu au début des années 2000.

Mathieu Macheret, critique de cinéma

La Roumanie vote une loi, en 1997, qui clarifie le financement des films. Dans le même temps, avec ses paysages variés et sa main-d’œuvre bon marché, elle attire des tournages étrangers. De grands cinéastes offrent à de jeunes techniciens l’opportunité de se former à leurs côtés. Bertrand Tavernier confiait en 2009 au journal "La Croix" avoir repéré Cristian Mungiu sur le tournage de son film "Capitaine Conan": "Vif, rapide, il était le plus doué de nos assistants." Dans la foulée des succès cannois, la France jouera d’ailleurs un grand rôle dans la promotion et le soutien de ce nouveau cinéma.

Une recette qui plaît

"Le film qui a tout déclenché, c’est "La Mort de Dante Lazarescu", de Cristi Puiu, primé à Cannes en 2005", reprend le journaliste Mathieu Macheret. L’histoire d’un vieux monsieur malade et de l’infirmière qui tente de lui trouver un lit d’hôpital. "Il y avait quelque chose d’absurde et de kafkaïen dans ce récit, qui montrait les traces du communisme dans la Roumanie contemporaine." Car le cinéma roumain se préoccupe beaucoup de réalité.

Ces films mêlent écriture fictionnelle et dispositifs qui relèvent du documentaire: scènes longues, improvisation des acteurs, injection d’éléments imprévus dans le scénario, tournage dans les rues. Il y a un souci de pousser le plus loin possible la représentation du réel. Jusqu’à une certaine forme de prosaïsme. C’est aussi la limite de ce cinéma, auquel on reproche parfois de noircir le tableau.

Mathieu Macheret, critique de cinéma

Roumain et universel

Le plan séquence est aussi l’une des marques de fabrique de la nouvelle vague roumaine. "Baccalauréat" est mon troisième film tourné comme ça, explique Cristian Mungiu. J’ai cherché une autre manière de raconter l’histoire de ce père qui se compromet pour que sa fille obtienne son bac avec mention, mais je n’ai pas trouvé. Je refuse de faire un cinéma spectaculaire et le plan séquence permet d’atteindre un degré de vérité rare, qui permet à chaque spectateur de trouver lui-même le sens de la scène. Car je veux que chacun s’interroge sur ses actes dans sa propre vie. Mon histoire n’est pas seulement roumaine, elle est universelle."

>> Cristian Mungiu explique la scène clé de son film "Baccalauréat" :

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Cristian Mungiu sur la scène clé de son film "Baccalauréat" / RTSculture / 2 min. / le 5 décembre 2016

Mais Cristian Mungiu le concède, cette manière de tourner est très difficile pour tout le monde. Les acteurs roumains, tous issus du théâtre, ont aussi prouvé maintes fois leur brio et leur grand sens du rythme et de la réplique. "Je fais énormément de prises et cela leur demande une concentration extrême. Ils improvisent durant les répétitions, mais après, tout est fixé. Parfois, après une journée de tournage, tout le monde est fatigué. Je me dis qu’on n’y arrivera jamais. Et tout à coup, l’énergie que je cherche finit par se dégager."

Un souffle qui dure

Cristian Mungiu réfute le terme de "chef de file" de la nouvelle vague.

J’ai eu la chance d’obtenir des prix très importants, mais ce titre ne me convient pas. On nous définit comme une vague parce que nous avons tous le même âge et qu’on a commencé en même temps. Mais nous sommes des cinéastes avec des univers propres.

Cristian Mungiu, cinéaste

En revanche, cette étiquette lui a donné de grandes responsabilités en Roumanie. "Je me suis beaucoup impliqué pour réécrire la loi sur le cinéma. Ce cadre formel a porté ses fruits et permet à la génération suivante de bien travailler". Car avec des films comme "Dogs", de Bogdan Mirica, qui lorgne du côté du cinéma de genre, la nouvelle nouvelle vague est peut-être déjà là.

"Comme toutes les nouvelles vagues, celle-ci s’essoufflera un jour, affirme Mathieu Macheret. Certains films se ressemblent. Et il y a toujours un risque d’éparpillement." Mais apparemment, son heure n’a pas encore sonné.

Raphaële Bouchet/mcc

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Succès mitigé en Roumanie

Quel accueil réserve le public roumain à ce cinéma qui rayonne à l’étranger? "Les Roumains ont un rapport problématique avec cette nouvelle vague, explique Mathieu Macheret, du "Monde". D’abord parce que le circuit de salles est très endommagé. L’industrie règne partout et il n’y a pas de réseaux de salles indépendantes tels qu’on les conçoit en Europe occidentale."

Les films de la nouvelle vague, peu exposés, peinent à attirer le public, même s’ils jouissent d’un éclat médiatique particulier au moment où ils gagnent des prix. "Et puis, sans vouloir généraliser, les Roumains trouvent ces films trop pessimistes. Ils estiment qu’ils noircissent le trait, qu’ils dépeignent une image de la Roumanie très négative et peu conforme à la réalité. Ils ont parfois l’impression que leurs talents les plus vifs vont chercher le succès à l’étranger, en festivals, sur le dos des problèmes de la société roumaine."

"Baccalauréat", mention très bien

C’est l’histoire de Romeo (Adrian Titieni), un père qui veut à tout prix envoyer sa fille Eliza (Maria-Victoria Dragus) étudier en Angleterre, car, estime-t-il, elle n’a aucun avenir en Roumanie. Brillante élève, Eliza est agressée à la veille des examens et n’est plus du tout sûre d’avoir la mention nécessaire à l’obtention d’une bourse. Pour "aider" sa fille, le père se compromet alors dans le système des petits "services" rendus et de la petite corruption, qui gangrène la société roumaine.

"On agissait comme ça durant le communisme parce que nous n’avions pas le choix. Il s’agissait de survie, raconte Cristian Mungiu. Aujourd’hui, ces pratiques continuent, mais nous avons moins d’excuses."

L’étau se resserre peu à peu sur le personnage principal, que le cinéaste prend soin de ne jamais juger. Intense, complexe et anxiogène, "Baccalauréat" est une fable morale au suspense haletant.