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Comment le cinéma suisse se bat contre l'isolement

"Rien n'incite les autres pays du monde à s'intéresser au cinéma suisse", constate Ivo Kummer de l'Office fédéral de la culture. [KEYSTONE - Alessandro della Valle]
"Rien n'incite les autres pays du monde à s'intéresser au cinéma suisse", constate Ivo Kummer de l'Office fédéral de la culture. - [KEYSTONE - Alessandro della Valle]
Depuis sa sortie du programme MEDIA de l'Union européenne, l'industrie cinématographique suisse est confrontée à une situation difficile. Mais les productions s’améliorent.

Il y a trois ans déjà, le cinéma suisse perdait son réseau européen, suite à la sortie du programme MEDIA de l'Union européenne. Depuis, l'industrie doit faire desefforts de commercialisation accrus et conclure denouveaux accords bilatéraux.

La solution est à trouver dans des coproductions avec des partenaires étrangers et des films ciblant davantage le public international.

Ce qui s'est passé

Avec l'adoption en janvier 2014 de l'initiative "Contre l'immigration de masse", le peuple suisse a catapulté son industrie cinématographique hors du réseau européen MEDIA qui, jusque-là, soutenait le petit marché suisse à l'aide de subventions et le faisait profiter d'un réseau d'envergure internationale.

Si le secteur scientifique, qui a connu la même destinée, est déjà parvenu à trouver une voie de secours en rejoignant le programme européen "Horizon 2020", tel n'est pas encore le cas du secteur cinématographique.

Ce qui pose problème

Avant toute chose, le cinéma suisse souffre de ne plus être membre d'un réseau qui attire automatiquement sur lui l'attention des pays étrangers.

Les productions suisses en elles-mêmes ne sont plus attractives pour les distributeurs européens (lire l'encadré), au point qu'Ivo Kummer de l'Office fédéral de la culture sent peser la menace d'un isolement: "La sortie du programme MEDIA a des répercussions négatives en termes de compétitivité et rien n'incite aujourd'hui les autres pays du monde à s'intéresser au cinéma suisse."

Sur un plan purement financier, cette sortie est toutefois sans conséquences graves puisque la Confédération a instauré des mesures de remplacement dès 2014 et choisi de distribuer directement au cinéma suisse les contributions qu'elle versait jusque-là à Bruxelles.

>> A lire : Le cinéma suisse bénéficiera de six millions de francs de plus par année

Conséquence 1: des efforts de commercialisation accrus

Désormais, plus aucun regard ne se tourne automatiquement vers notre industrie cinématographique.Il faut déployer des efforts de persuasion considérables pour parvenir à placer des productions suisses sur les marchés étrangers, comme en témoigne la directrice de l'agence de promotion Swiss Films, Catherine Ann Berger.

"Lorsqu'un distributeur international a le choix entre un film suisse et un film polonais de qualité équivalente, il sélectionne le film polonais parce qu'il perçoit automatiquement une aide de l'Union européenne", explique-t-elle. "Nous devons donc entamer le dialogue avec les distributeurs le plus tôt possible et agir de manière proactive pour susciter leur intérêt".

Il en va de même pour les festivals: "Il est devenu extrêmement difficile de placer des petites productions suisses dans les festivals". Pour les films avec un plus gros potentiel commercial, la situation est toutefois moins catastrophique, comme en témoignent de récents succès tels que "Ma vie de Courgette."

>> A voir le reportage du 19h30 :

Ma vie de courgette: une moisson de "César"
Ma vie de courgette: une moisson de "César" / 19h30 / 1 min. / le 25 février 2017

Conséquence 2: des accords bilatéraux, non plus internationaux

La politique a pris la relève depuis que la Suisse est sortie du réseau européen. Le secteur déploie aujourd'hui d'importants efforts pour signer des accords avec des pays partenaires, comme le confirme Ivo Kummer. Il s'est lui-même rendu au Danemark la semaine dernière, accompagné de producteurs suisses, dans la perspective d'un accord bilatéral.

Le cinéma suisse espère élargir encore davantage son horizon: un nouvel accord est prévu avec le Mexique et une coopération avec la Chine a été signée lors du Forum économique mondial.

Conséquence 3: des productions plus stratégiques

Aujourd'hui, les cinéastes s'intéressent de plus près à la façon dont ils peuvent accéder à des réseaux et obtenir des subventions. Ils misent davantage sur les coproductions, comme l'explique le réalisateur Xavier Koller, qui cite en particulier le Canada et l'Allemagne – deux pays avec lesquels la Suisse a signé des accords.

Dans le cas du film à succès "More than Honey" (Des abeilles et des hommes), la coopération s'est mise en place après coup: le documentaire a d'abord représenté la Suisse lors des Oscars 2014, avant de prendre la nationalité allemande pour sa distribution.

Les distributeurs ont ainsi eu accès à des subventions du programme MEDIA, sur lesquelles ils avaient basé leurs calculs dès le départ.

Ce que réserve l'avenir

L'expert en filmologie Bjørn von Rimscha considère la coproduction comme une voie prometteuse: "Les coproductions permettent de réunir de plus gros budgets, d'acquérir un savoir-faire international et, plus que tout, de proposer des films dont les histoires parlent à des peuples différents et intéressent donc plusieurs marchés à la fois".

Enfin, la sortie du programme MEDIA pousse le cinéma suisse à "travailler directement à l'amélioration du 'produit' et à la création d'un réseau de partenaires – ce qui ne peut que lui faire du bien".

Manuela Siegert/mcc

Cet article a été publié sur SRF Kultur.

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Programme MEDIA de l'Union européenne

"Europe créative" (anciennement MEDIA) encourage la production et la distribution des œuvres cinématographiques et apporte son soutien aux festivals.

Budget 2014-2020: 1,47 milliard d'euros.

Aide automatique à la distribution: un distributeur perçoit de l'argent pour chaque entrée de cinéma qu'il a réalisée avec un film provenant d'un autre pays membre.
La Suisse espère réintégrer le programme "Europe créative", sans succès pour le moment.